Chroniques

par katy oberlé

Z mrtvého domu | De la maison des morts
opéra de Leoš Janáček

Opéra national du Rhin, Strasbourg
- 27 septembre 2013
Robert Carsen met en scène le dernier opéra de Leoš Janáček, à Strasbourg
© f.godard | onr

Entamé à Strasbourg par Robert Carsen, sous l’égide de son fidèle champion Marc Clémeur, avec la reprise de Jenůfa il y a trois ans qu’il lui avait commandée pour le Vlaamse Opera lorsqu’il en était le directeur, le cycle Leoš Janáček de l’Opéra national du Rhin se poursuit avec l’ultime partition lyrique du Morave : De la maison des morts, d’après l’ouvrage qu’écrivit Feodor Dostoïevski entre 1857 et 1860, suite à sa déportation politique au bagne d’Omsk, Récits de la maison des morts (Записки из Мертвого дома), publié en 1862.

Loin de la noire (et heureuse) concision de sa Jenůfa [lire notre chronique du 11 juin 2010], de la poésie désespérée de sa Káťa Kabanová [lire notre critique du DVD], de la foisonnante invention de sa Věc Makropulos, la mise en scène de Carsen s’approche assez des ternes atermoiements qui, au printemps dernier, caractérisaient sa Petite renarde rusée (Příhody lišky Bystroušky). Les fidèles Miruna et Radu Boruzescu signent une scénographie oppressante, comme il se doit, ce qui – faut-il le rappeler ? – ne relève certes pas d’un trait de génie, comme s’exclame complaisamment une partie du public (dont quelques collègues béats de ne pas croiser là d’autre prima donna que les jupons grotesques d’une mascarade de forçats), mais du seul respect du livret et des situations qu’il installe, ni plus ni moins. Ce monde carcéral sombre où se résume la survie d’hommes diversement « coupables » quoique tous condamnés, aurait pu atteindre plus haute réflexion sur l’enfermement de tout un chacun dans notre monde, puisque les codes humains se reproduisent partout, dans la rue, à l’Assemblée, à l’école, au tribunal, à l’hôpital, au jardin public, au camp de concentration, au théâtre et en prison, si ce n’est jusqu’au cimetière (quoique…). Mais dans cette production il ne faut pas chercher plus loin que l’illustration anecdotique, voire caricaturale, du bagne, ses petites vilénies et ses grands élans, où la geste « carsénienne » s’emploie principalement à dessiner dos et minois flatteurs, muscles, poings et phallus, d’une fébrile verve voyeuse. Bref, nouveau « flop »...

Plus que jamais, c’est le Chœur maison qui sort vainqueur incontestable de cette première, remarquablement préparé par Michel Capperon. Si la présence scénique, parfaitement travaillée, est écrasante – et d’autant plus dans la lumière glaçante de Peter Van Praet ! –, l’impact musical est saisissant. Un grand bravo !, donc, à chacune de ses voix et à l’engagement dramatique évident dont témoigne cette représentation.

Nul ne pourrait en dire autant du plateau vocal que caractérisent surtout son manque d’unité et de vertigineux écarts de niveau, qui accusent la disproportion entre l’audace et l’ambition de notre Opéra et ses réelles possibilités (la grenouille de La Fontaine ?...). Passant vite sur le Filka braillard de Peter Sarka, le Commandant affreusement « tubé » de Patrick Bolleire, le Goriantchikov suffisant et incongrument « français » de Nicolas Cavallier, et plus encore sur l’Alieia fort éprouvant pour l’oreille, terriblement minaudé de Pascal Charbonneau qui ne possède vraisemblablement pas le format du rôle – rien à voir avec l’exquis Stoklossa de la production Chéreau-Boulez [lire notre chronique du 16 juillet 2007] –, retenons plutôt le délicieux pochtron d’Hervé Huyghues Despointes, la « bluffante » stabilité d’Adrian Thompson en Grand forçat, le cuivre séduisant d’Enric Martinez-Castignani en Petit forçat et le beau lyrisme du baryton Jean-Gabriel Saint-Martin en « Don Juan » [lire notre chronique du 8 octobre 2011]. Deux voix dominent : celle d’Andreas Jäggi qui campe un Skouratov d’une idéale humanité, et surtout celle de Martin Bárta qui prête d’immenses qualités au chant de Chichkov.

Décidément, le successeur de Marc Albrecht à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg semble peu à peu réussir à bonifier nos forces locales. La lecture de Marko Letonja fait fi des nombreuses embûches de la partition et développe même une certaine couleur « moderne » où la participation de la formation au festival Musica, trois jours plus tôt, n’est peut-être pas pour rien [lire notre chronique du 24 septembre 2013]. Belle fosse, donc, d’une impressionnante puissance dramatique.

KO