Chroniques

par laurent bergnach

Wanderer, post scriptum
spectacle d’Antoine Gindt

Musica / Théâtre National de Strasbourg
- 25 septembre 2013
Wanderer, post scriptum, spectacle d’Antoine Gindt
© dr

Devenu conseiller à la programmation de Musica en 2006, Antoine Gindt y propose régulièrement ses différentes recherches en matière de théâtre musical, un domaine qui l’occupe au moins depuis 1992, date à laquelle il codirigeait l'Atem avec Georges Aperghis : Consequenza, un hommage à Luciano Berio, Kafka-Fragmente de György Kurtág [lire notre chronique du 29 janvier 2010], Ring Saga d'après la tétralogie wagnérienne ainsi que, cette année même, Aliados, premier opéra de Sebastian Rivas, et Wanderer, post scriptum qui nous occupe aujourd’hui.

Outre un piano ouvert côté cour (clavier tourné vers le fond de scène), Kalina Georgieva et Ivan Ludlow – entendu cet été dans Gawain de Birtwistle [lire notre chronique du 2 août 2013] – manipulent deux chaises, une cantine et un large rideau qui fait apparaître les créations numériques heureusement discrètes de Tomek Jarolim. C’est qu’on sollicite ici, plus que d’ordinaire en récital, l’engagement corporel du chanteur, celui-ci allant jusqu’à grimper au sommet des chaises superposées (steinbock lyrique !) afin d’évoquer ces leitmotive des Liederabend que sont départ, voyage et solitude. Quatre compositeurs servent de fil rouge : Hanns Eisler (1898-1962), Wolfgang Rihm (né en 1952), Gérard Pesson (né en 1958) et György Ligeti (1923-2006) – dont la pianiste, comme Dana Ciocarli avant elle [lire notre chronique du 12 décembre 2007], transforme des extraits de Musica Ricercata (1951-53) en ponctuations d’un programme essentiellement vocal (n°1, n°2 et n°11).

Pour prendre la route, le baryton-voyageur doit d’abord se dégoûter du monde. Qui mieux qu’Eisler et Brecht, communistes exilés aux États-Unis, dans la « Weimar du Pacifique », pouvaient évoquer la perte des valeurs d’un monde devenu fou [lire notre critique du CD] ? Car, bien sûr, il ne faut pas se taire durant le temps des ténèbres, mais inventer le chant des ténèbres… Cinq textes sur sept – Spruch 1939, Die Landschaft des Exils, Hotelzimmer 1942, Über die Dauer des Exils et An den kleinen Radioapparat – sont du librettiste de Der Jasager, der Neinsager [lire notre chronique du 5 mai 2012], qui évoquent l’exil, la violence aux frontières ou encore le précieux poste de radio donnant des nouvelles de l’ennemi victorieux.

Deux cycles complets servent de murs porteurs au projet : Sechs Gedichte von Friedrich Nietzsche (2001) de Rihm et Cinq poèmes de Sandro Penna (1992) de Pesson, adepte de l’effacement réceptif à des vers d’une « scandaleuse douceur ». Le premier, créé à Cologne par Thomas Hampson, permet de goûter la fiabilité d’un chanteur stable et corsé, efficace en voix mixte (Der Einsamste), qui évoque sentier et oiseau croisés durant l’automne. Le second rassérène le malheureux gorgé de brumes sous le soleil italien, comme tant de romantiques de la fin du XIXe siècle. Le vent sèche vite la pluie d’été et l’auberge permettra sans doute un sommeil déjà au centre du poème de Mörike mis en musique par Eisler (An den Schlaf). La boucle est bouclée.

Enfin, il faut mentionner la danse du couple sur Im Treibhaus, troisième des Wesendonck-Lied de Wagner donné en bande-son, et Riders on the Storm (1971), chanson-phare du groupe The Doors, chanté avec douceur et chaleur par la pianiste (« There's a killer on the road… »). Après tout, Jim Morrison faisait bien intervenir Weill au milieu d’un concert pop (Alabama Song, extrait du Songspiel Mahagonny), pourquoi pas l’inverse ?

LB