Chroniques

par bertrand bolognesi

Rusalka
opéra d’Antonín Dvořák

The Metropolitan Opera HD Live / Gaumont Capucines, Paris
- 8 février 2013
au Met', reprise de la Rusalka (Dvořák) d'Otto Schenk
© ken howard | metropolitan opera

Il fit ses débuts à Salzbourg (Landestheater) en 1957 : à vingt-sept ans il signait une nouvelle production de Die Zauberflöte. Après avoir fait au théâtre ses premières armes en tant que metteur en scène (Tchekhov, Horváth, Shakespeare, etc.), ce jeune comédien viennois abordait le monde lyrique par Mozart. Il se fera réellement connaître quelques années plus tard pour ses remarquables Lulu et Jenůfa au Theater an der Wien qui lui vaudront derechef une collaboration due avec la prestigieuse Wiener Staatsoper. Dès 1968, il est engagé par le Metropolitan Opera pour y réaliser une nouvelle Tosca. En 1974, la carrière prend véritablement son essor international avec Le nozze di Figaro au Teatro alla Scala, la fosse étant alors menée par Claudio Abbado.

Entre Londres et les grandes maisons allemandes, Otto Schenk revient régulièrement à New York qui lui confie Tannhäuser en 1978 et Die Meistersinger von Nürnberg en 1993, beau parcours wagnérien ponctué par le Ring (1986) et Parsifal (1991), sans exclure le répertoire italien. Il y est apprécié pour le soin extrême qu’il ménage à une scénographie minutieusement décorative, voire ornementale, dont on peut dire encore qu’elle fait grand effet. Et c’est en 1993 qu’il y met en scène cette Rusalka actuellement reprise in loco et diffusée ce soir en direct au cinéma.

En cette fin de semaine, les conditions climatiques sont des moins favorables, avec les aléas de Ruth, la tempête qui assaille depuis hier les îles britanniques et dont les bourrasques soufflant à près de 130km/h sur les côtes normandes et bretonnes décoiffent gaillardement les toupets parisiens. Malgré d’incessantes micro-interruptions, il nous est cependant loisible d’apprécier un décor luxuriant qui, sans autre surprise qu’une efficacité plus vraie que vraie, pour ainsi dire, met les milieux aquatique et sylvestre au rendez-vous du conte, exclusivement abordé dans sa littéralité. N’allez pas chercher là quelque interrogation sur l’interdit de la transgression, ni sur le franchissement des castes ou la nature humaine, vous resteriez immanquablement sur votre faim.

Plus choquante s’avère la criante absence de direction d’acteurs. Faut-il comprendre que la reprise de la production se soit faite sans Schenk, confiée à une équipe technique de bon aloi qui l’aura simplement remise en situation, vingt-et-un ans après sa première ? Encore l’idée n’est-elle pas à écarter que le metteur en scène autrichien ait dès l’abord cédé au goût d’un public alors plutôt « traditionnaliste » (voire à son propre goût du moment), à l’inverse de propositions autrement travaillées dramatiquement, comme la Lulu évoquée plus haut [lire notre critique du DVD]. Arborant fausses verrues et véritables hardes de fripes, la sorcière fait figure d’archétype du genre, de même que le prince, gentiment puisé dans le modèle Avenant, plus ou moins doux prédateur. Quant à l’héroïne, on la verra quasiment gravée dans un éternel sourire glamour qui l’efface cruellement du champ de vision. Les rôles secondaires (le Garde forestier et son neveu) laissent froid, tandis que la rivale montre les dents, comme il se doit. Seul l’Ondin convainc – paradoxe : le personnage le plus improbable est finalement le plus crédible. Aussi se contentera-t-on d’admirer un bel écrin vintage, à l’instar du légendaire Rosenkavalier viennois tout prochainement repris à Munich – suite à sa restauration coproduite avec Genève [lire notre chronique du 12 avril 2012].

Loin d’être insensible au regard des caméras, le jeune Yannick Nézet-Séguin dessine non sans superbe ce qu’un Boulez put autrefois appeler une « chorégraphie de chef ». Peu importe, au fond, seul le résultat compte. D’emblée les grandes lignes sont dûment tracées, le ton s’impose dramatique et hyper-lyrique, mais l’inflexion ne tient pas, rivant sa respiration à la surface d’eaux bien plus subtilement orchestrées par Dvořák. Ainsi la fosse se révèle-t-elle en parfaite adéquation avec le plateau : sans profondeur.

Saluons, pour finir, des voix qui ne déméritent pas : Dolora Zajick mène irréprochablement sa Ježibaba, Emily Magee campe une Princesse étrangère diablement luxueuse, avec une pâte vocale des grands soirs, l’Ondin de John Relyea, extrêmement présent et idéalement coloré ; mais si l’aigu de René Fleming fait encore illusion dans le rôle-titre, c’est essentiellement Piotr Beczała (Prince) qui satisfait. Prochain rendez-vous : Prince Igor de Borodine (1er mars).

BB