Chroniques

par laurent bergnach

Alban Berg
Lulu

1 DVD Arthaus Musik (2013)
101 687
Alban Berg | Lulu

Mises à part deux œuvres de commande – Der Wein (1930) et le posthume Concerto pour violon (1936) –, Alban Berg se consacre entièrement à Lulu du début 1927 à la fin 1935, soit du moment où, reprenant un projet ancien, il se penche sur l’écriture du livret à partir de la pièce originale de Wedekind (Die Büchse der Pandora) jusqu’à sa mort prématurée. Schönberg, Webern et Zemlinsky ayant décliné l’offre d’Helene Berg d’achever l’orchestration, c’est sous forme de fragments en deux actes que l’ouvrage est présenté à Zurich, le 2 juin 1937. Jusqu’à la création parisienne des trois actes complétés par Friedrich Cerha, le 24 février 1979, on avait pris l’habitude de jouer les variations de la Suite après l’Acte II [lire notre critique du CD], en guise d’interlude, puis l’Adagio avec le monologue de la comtesse Geschwitz, la scène d’agonie de Lulu en coulisses, le meurtre de la comtesse en pantomime, ainsi que son air final avant le tomber de rideau.

Apparue suite aux représentations d’Essen en 1953, cette solution est celle adoptée par les Wiener Festwochen pour la première viennoise du 9 juin 1962, filmée par la télévision – pour le grand ravissement des nouvelles générations qui ne boudent pas les images en noir et blanc ! Le jeune Otto Schenk (né en 1930) favorisait l’intimité et le contact entre des personnages tout-à-fait crédibles, dans une mise en scène qui happe très vite le spectateur et ne manque pas d’humour. En fosse avec les Wiener Philharmoniker, Karl Böhm soignait le détail et le contraste, mais sa lecture désoriente par d’autres côtés (impression de patinage).

On connaît peu Evelyn Lear (1926-2012) dont l’incarnation du rôle-titre est éblouissante – écervelée de vaudeville au chant agile, velouté et sûr. Liée plus d’un demi-siècle au baryton-basse wagnérien Thomas Stewart au sortir d’un divorce, le soprano nord-américain étudie à New York et à Berlin (voix, piano, cor anglais, composition) avant d’embrasser un vaste répertoire (Mozart, Händel, Strauss, Schönberg, Puccini, mais aussi Marc Blitzstein, Marvin David Levy, Thomas Pasatieri, Robert Ward, Rudolf Kelterborn, etc.). En ce qui concerne Berg, elle fait sensation en chantant Lulu en concert à Vienne dès 1960, enregistre le rôle en 1964 et revient à l’ouvrage dans les années quatre-vingt, en interprétant cette fois l’amoureuse de l’héroïne. Entre temps, elle reçoit un Grammy Award (1966) pour un Wozzeck chanté avec Dietrich Fischer-Dieskau et Fritz Wunderlich, là encore dirigé par Böhm.

Tout aussi impliqués dans leur jeu, les autres chanteurs savent faire valoir leurs qualités : Paul Schöffler (Schön) propose ampleur et puissance, Rudolf Schock (Alwa) une sonorité qui s’épuise inévitablement dans les derniers moments, Kurt Equiluz (Peintre) clarté et santé, Gisela Litz (Geschwitz) une superbe expressivité et Margarete Ast (Lycéen) une grande vaillance. Moins marquants, Josepf Knapp (Schigolch), Hans Braun (Athlète) et Peter Klein (Prince) n’en sont pas moins efficaces.

LB