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Chroniques
récital Sonya Yoncheva
Orchestre National Montpellier Occitanie, Daniel Oren
Que de chemin parcouru en une dizaine d’années – et à quelle vitesse ! – par Sonya Yoncheva, depuis 2007 où l’on se souvient de cette voix déjà particulièrement belle et puissante, lorsque la chanteuse prenait part à une session de perfectionnement à l’Académie du Festival international d’Aix-en-Provence. Dans sa catégorie vocale, le soprano bulgare appartient sans doute aujourd’hui au trio de tête et a pris, de fait, la place de premier soprano invité par le Metropolitan Opera (New York), ayant été distribuée cette saison dans trois spectacles de la maison nord-américaine : La bohème, Tosca et Luisa Miller (ces deux derniers en prise de rôle). Le Met’ n’étant évidemment pas la seule scène où elle se produit, il est permis de craindre pour la jeune artiste de trente-six ans, à la vue d’un tel calendrier. Comme on a pu l’entendre en début de saison à Paris, dans Don Carlos, puis La bohème [lire nos chroniques des 25 octobre et 1er décembre 2017], les moyens demeurent somptueux et considérables, mais quelques petits signes de fatigue pointent.
Rien de tel à Montpellier, dans la vaste salle du Corum, que Sonya Yoncheva a déjà fréquentée pour défendre Siberia de Giordano et Iris de Mascagni [lire notre chronique du 26 juillet 2016], deux concerts estivaux placés sous la direction musicale de Domingo Hindoyan, son époux à la ville. Le chef vénézuélien était aussi programmé pour la présente soirée, mais son remplacement par Daniel Oren fut annoncé il y a plusieurs semaines. Ce programme Verdi de l’Orchestre National Montpellier Occitanie sera également proposé, trois jours plus tard, au Théâtre des Champs-Élysées, tandis que diverses formations accompagneront la soliste pour d’autres dates, à Baden-Baden, Berlin, etc.
Dès l’Ouverture d’I vespri siciliani, on reconnait – à l’œil et à l’oreille – le verdien Daniel Oren [lire nos chroniques de Nabucco, Aida, Falstaff et Rigoletto] : beaucoup de nerf, de l’ampleur, du souffle apportés à la musique… et les bonds qui vont avec sur le podium ! Par moments, le volume se développe certainement à la limite du raisonnable, rendant difficile la distinction claire entre les différents pupitres, et puis ce chef très démonstratif accentue fortement contrastes, nuances et tempi, au risque de mettre l’orchestre en difficulté de cohésion à de brefs instants. Mais ces réserves ne sont rien en regard de la puissance théâtrale, de l’intensité dramatique insufflée à la musique : en fin de programme, le prélude du dernier acte de La traviata est un moment exceptionnel, Oren semble souffrir autant que Violetta Valéry, tout en sculptant la matière sonore de ses mains immenses.
Si le chef fait le spectacle, la star de la soirée est bien Sonya Yoncheva.
Elle entame son programme avec un Tacea la notte placida du Trovatore, d’un timbre plein et rond qui nourrit instantanément l’auditoire, une voix pulpeuse et volumineuse, des graves fort bien exprimés et des suraigus vaillants. Son frère Marin Yonchev enchaîne avec La mia letizia infondere d’I Lombardi et le contraste est saisissant à l’écoute de cette petite voix de ténor, d’une assez modeste séduction. Mais sa participation est réduite, il interviendra seulement pour le duo Parigi, o cara (La traviata). L’air suivant, Tu puniscimi, o Signore tiré de Luisa Miller, convient idéalement aux moyens du soprano bulgare. Après l’Ouverture de La forza del destino, l’extrait Pace, pace mio Dio ! procure beaucoup d’émotion, encore plus dans la cantilène qu’au cours de la cabalette qui suit où l’abattage et la vitesse d’exécution impressionnent moins. On repère tout de même une fragilité sur l’aigu piano dans « Pace, pace », note atteinte mais peu assurée, la chanteuse se montrant au cours de la soirée très avare de piani dans le registre suraigu, choisissant invariablement la nuance forte pour les notes les plus extrêmes. Toi qui sus le néant de Don Carlos, après l’entracte, montre l’artiste dans un meilleur état de fraicheur qu’à Paris à l’automne dernier, sous une direction musicale bien plus remplie de sentiment, et Oh ! nel fuggente nuvolo (Attila) est élégant, avec la bonne dose de vibrato. Les interventions en solo ou avec son frère en conclusion du programme rappellent que Yoncheva est une immense interprète de La traviata, surtout lorsque le théâtre vit de telle façon à l’orchestre. En bis, Libiamo du même ouvrage, puis la répétition de l’air du Trovatore confirment la place actuelle de l’artiste, au firmament de la planète lyrique.
IF