Chroniques

par isabelle stibbe

Rigoletto
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 7 octobre 2008
reprise réussie du Rigoletto (Verdi) de Jérôme Savary à l'Opéra Bastille
© c. leiber | opéra national de paris

On l’avoue : on allait voir cette reprise de Rigoletto pour une seule raison : pas tant la musique de Verdi qui, aussi splendide soit-elle, a été suffisamment entendue pour ne pas devenir le moteur décisif, pas tant le livret qui, s’il fait toujours son effet, a été suffisamment analysé pour ne plus vraiment livrer de surprises, pas non plus la mise en scène illustrative de Jérôme Savary qui, vue et revue depuis 1996, ne pouvait rien laisser espérer de neuf, si tant est que, dès sa création en ce même Opéra Bastille, les murailles grises carton-pâte pouvaient y prétendre. On y allait pour la distribution et même, pour être tout à fait exact, pour Stefano Secco dans le rôle du duc de Mantoue, tout cela parce que sa découverte en juillet dernier dans Don Carlo [voir notre chronique du 4 juillet] avait fait l’effet d’une révélation.

Dès le premier acte, son apparition sur scène dans Questa o quella comble d’aise, mais au fur et à mesure qu’il chante, force est de reconnaître qu’il déçoit légèrement. Vocalement d’abord : le ténor semble nerveux, son air saccadé. Ce n’est que plus tard, dans son duo avec Gilda, que l’on croit comprendre pourquoi on ne retrouve systématiquement la brillance qui avait tant séduit dans Don Carlo : c’est que le chanteur semble tellement vouloir faire des nuances, accumulant les piani, que son timbre perd de son mordant. Dès qu’il n’est plus dans cette recherche, la voix retrouve sa splendeur. C’est le cas dans Ella mi fu rapita qui devient un vrai bonheur musical : voix lumineuse, projetée, souple. Mais si le ténor déçoit, c’est aussi qu’on peine à le trouver crédible dans ce rôle de séducteur, sans doute à cause d’un manque de charisme que la beauté de l’instrument ne parvient pas à faire oublier.

Venu pour le ténor, on se surprend à lui préférer le soprano.
Dans le rôle de Gilda, Ekaterina Siurina est une superbe découverte. La jeune Russe est un vrai lyrique léger. Ses aigus sont faciles, brillants ; medium et grave sont tout autant à l’avenant, tandis que les vocalises s’enchaînent sans difficulté. Ajoutez à cela un timbre pur dont la douceur agit sur le cœur comme un baume, faisant de son Caro nome un pur moment de grâce qui donne le frisson.

Autour de ce couple prometteur, Kristin Sigmundsson surprend dans le rôle de Sparafucile. Sa première intervention est presque inaudible, comme si la basse économisait sa voix, ce qui évacue l’aspect redoutable du personnage de tueur à gages. Heureusement, il retrouve ses moyens dans la scène de la taverne où, appuyé par l’intervention du chœur à bouche fermée pour simuler la tempête, il suscite une réelle inquiétude.

Le Rigoletto de Juan Pons n’est pas dénué de qualités mais apparaît inégal. Dans ses meilleurs moments, la voix est claire mais semble souvent fatiguée, voire voilée, et un peu basse. Si le baryton est très applaudi à la fin de l’Acte II, dans sa prestation quelque chose dérange : l’impression qu’il ne n’atteint pas au tragique du personnage, le bouffon à l’humanité déchirante, ce côté shakespearien qui plaisait tant à Verdi.

C’est sans doute toute la difficulté de cette partition qui, parce qu’elle est archiconnue et peut être prise de façon un peu routinière, alors qu’elle devrait être jouée, interprétée et, par contrecoup, vécue par le public comme s’il l’écoutait pour la première fois. Un peu lourd, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, dirigé par Daniel Oren, s’affine et s’investit au fur et à mesure du spectacle, sans parvenir toutefois à ébranler complètement.

IS