Chroniques

par gilles charlassier

Quatuor n°2 de Frédéric Pattar, Philiris de Lara Morciano
Quatuor Béla, David Pigassou, Lara Morciano et José Miguel Fernández

Aujourd'hui musiques / Théâtre de l'Archipel, Perpignan
- 26 et 27 novembre 2016
Portrait de la compositrice Lara Morciano par le musicologue Bertrand Bolognesi
© lara morciano par bertrand bolognesi

Exigence ne rime pas nécessairement avec repli sur une fréquentation limitée, Aujourd'hui musiques le démontre admirablement depuis un quart de siècle, en ouvrant la création contemporaine à un large public. Le week-end de clôture, où rayonne le Quatuor Béla, en témoigne.

Au programme du concert du samedi, Dutilleux et Pattar voisinent avec Debussy, balayant un siècle de modernité française. Du premier, Ainsi la nuit ouvre la soirée sur des teintes nocturnes admirablement ciselées, illustrant la maîtrise des Béla, lesquels comptent parmi les meilleurs ambassadeurs du chef-d’œuvre de Dutilleux. La précision du dessin s'entend dès le Nocturne I et plonge l'auditeur dans une évocation poétique sans effets inutiles. Cet instinct de l'essentiel parcourt une pièce dont la construction en variations sur sept mouvements – en plus de l'initial précédemment nommé : Miroir, Litanies I et II, Nocturne II, Constellations et Temps suspendu – est intelligemment mise en valeur, sans jamais oublier ici le chant qui s'élève des aigus du violon, là l'intimisme fervent des quatre pupitres se lovant dans de douces modulations, ou encore la vigueur de la ponctuation, support d'une dramaturgie aussi flottante qu'extrêmement pensée dans son allure elliptique, et que n'ignorent point les interprètes.

En enchaînant avec le Quatuor n°2 de Frédéric Pattar [lire notre chronique du 12 janvier 2013], c'est à un autre univers que l'on est convié, passant de la densité formelle à une plongée au cœur de la matière sonore. Commandée par nos quartettistes, le Festival Messiaen au Pays de la Meije (où elle a été créée en 2015), Quatuors en Luberon et Sons d'Automne à Annecy, l'œuvre fait progressivement passer une cellule thématique des aigus du premier violon à la chair nourrie du violoncelle. La plasticité organique de l'ensemble ne fait aucun doute. Les solistes la magnifient indéniablement, sans pour autant affranchir la page de son organisation un rien monolithique.

Quant au Quatuor de Claude Debussy, son inspiration colorée et rythmée affleure dès le mouvement inaugural (Animé et très décidé) et s'épanouit dans le deuxième (Assez vif et bien rythmé). Aérée et vivante se confirme cette lecture dans l'Andantino autant que dans le finale. En bis, quelques mesures (sans texte) d'Albert Marcœur, avec lequel a déjà collaboré le Quatuor Béla, confirment, dans cette parodie de musique répétitive, la large palette de musiciens qui ne s'enferment pas dans l'académisme.

Spectres, le spectacle chorégraphique du lendemain, conçu par Josette Baïz et sa Compagnie Grenade, ne le démentit pas. La scénographie épurée d’Hervé Frichet façonne ombres et tableaux au service d'une dynamique contagieuse jusqu'aux pupitres musicaux, invitant le quatuor dans la danse par l’abolition des frontières entre arts et genres qui trouve son climax avec Black Angels de George Crumb, évocation des bombardements au napalm de la guerre du Vietnam où les cordes voisinent avec les percussions et l'harmonica de verre, joué à l'archet.

Mentionnons, pour terminer, l'avant-concert de ce même dimanche.
Précédant l'Étude pour piano n°7 de Pascal Dusapin, confiée à David Pigassou, Lara Morciano [lire nos chroniques du 2 mars 2011 et du 10 janvier 2009] crée Philiris pour piano, électronique et système de captation gestuelle (commande du festival roussillonnais), avec José Miguel Fernández à l'informatique musicale. Là s’affirme une maîtrise inspirée des prolongations électroacoustiques de l'instrument. La première partie se contente d'abord de mettre le virtuel en miroir du piano, avant de compléter l'univers sonore par de simples oscillations manuelles. Ce jeu sur les extensions du clavier se poursuit dans un troisième épisode où la compositrice travaille la table harmonique à l'aide d'un tampon en bois et autres intrusions digitales à la manière d'un piano préparé qui réagirait dans les haut-parleurs. La dernière section s'aventure dans des explorations poétiques caressant le silence que les conditions de la performance ne permettent pas d'évaluer à leur juste mesure. Work in progress, la partition excite la curiosité d'un résultat avec un dispositif plus vaste : Lara Morciano sait indéniablement tirer parti des moyens à sa disposition, qui stimulent une attachante inventivité [lire notre entretien avec la compositrice].

GC