Chroniques

par laurent bergnach

Tremplin Cursus 2
créations d’Erstarrung de Gardner, de Nel cielo appena arato

de Morciano et de Poetry for // dark -/ dolls de Suárez-Cifuentes
Ircam et Centre Pompidou / Paris
- 10 janvier 2009
la compositrice italienne Lara Morciano, photo de Bertrand Bolognesi, 2009
© bertrand bolognesi

Soutien original à la jeune création, les rendez-vous Tremplin réunissent des compositeurs aux esthétiques dissemblables auxquels, suite à la présentation d’un projet au comité de lecture associant l'Ensemble Intercontemporain et l'Ircam, fut passé commande d’une œuvre. Doté d’une maîtrise en composition obtenue à Bogotá, récompensé par un prix d’analyse à Paris, Marco Antonio Suárez-Cifuentes vient d’achever deux années d’études à l’Institut, lesquelles donnent aujourd’hui naissance à Poetry for // dark -/ dolls. Comment est le bébé ? Ni prématuré – un musicien bloqué dans les transports en communs retarde cette création mondiale de près d’une demi-heure –, ni tout à fait en forme – par deux fois, des problèmes de retour de son obligent la chanteuse à s’arrêter. Dans la salle divisée pour faire cohabiter deux espaces de diffusion partiellement perméables, le public change de zone au bout de vingt minutes, délaissant l’ensemble conduit par Jean-Michaël Lavoie pour la chanteuse et inversement – au printemps 2007, sollicitant la mémoire auditive, Ius Lucis de Sannicandro nous faisait carrément passer d’un bâtiment à un autre [lire notre chronique du 6 juin 2007].

Hasard du placement, nous faisons d’abord face au soprano Valérie Philippin, voix douce et bien timbrée. Dans une première période quasiment sans silence, elle mêle les mots d’un poème de Christophe Tarkos à des jeux vocaux proches de ceux d’Aperghis, où dominent onomatopées, roucoulements, feulements, mais surtout les sons rauques de fond de gorge – inspirés par quelque chamane colombien ? Des cycles se succèdent, jouent sur le souvenir de l’auditeur, dans une sorte de redondance évolutive. Mais, si copieusement ouvragé qu’il soit, le procédé ne tient pas sur la durée, d’autant qu’il prend trop souvent le pas sur l’expression. Nous rejoignons ensuite l’espace où flûte, clarinette basse, violon, violoncelle et contrebasse semblaient jouer dans de la ouate – comme la chanteuse qu’à présent l’on ne perçoit plus. L’ensemble fait du surplace, accompagné par quelques rares sons électroacoustiques. Lorsque le rideau de séparation s’ouvre sur les dernières mesures pour, dos à dos, le relier au soprano, c’est pour une confusion qui laisse perplexe.

Heureusement, le second programme de la soirée s’ouvre sur Uqbar (2006), de Sebastian Rivas [lire notre chronique du 13 octobre 2006], une pièce pour violoncelle et dispositif électronique qui nous replonge au cœur de la musique. Ici, la rondeur de l’écho de certains accords forme contraste avec une relative sécheresse et âpreté de l’archet. Le climat évolue de la mélancolie vers une angoisse à l’énergie réfrénée, s’achevant sur une plainte où se réconcilient granulosité et moelleux dans une tentative d’osmose.

Pièce pour grand ensemble riche en énergie, Nel cielo appena arato est décrite par Lara Marciano [photo] comme « un travail de recherche sur les combinaisons timbrales-harmoniques à partir d’analyses spectrales de modèles de résonances d’instruments à percussion » [lire notre entretien avec la compositrice]. Jean Deroyer profite d’ailleurs sans limite des trois percussionnistes présents, au point de créer une masse écrasante dont le piano et les différents tissages de fondation font les frais. Plus apaisée, la seconde partie de l’œuvre laisse sourdre des sons raffinés comme le grain des cuivres et la frappe des métallophones à main nue.

Autre création mondiale, Erstarrung séduit par son climat à la tension maintenue qui s’achemine vers le silence. Réflexion sur les notions de solidification et de stabilité, l’œuvre d’Evan Gardner est un tissu très doux (franc souvenir spectral, dans l’emploi de micro-intervalles), crevé par le grincement du gong ou le frottement des cordes du piano, dont les mailles se relâchent lentement. Seul reproche à cet héritier hybride de Pesson, Neuwirth ou encore Nono : le talent est là mais la personnalité reste encore à émerger.

Cuts and Dissolves clôt la soirée.
L’œuvre à plus de trente ans, mais Wolfgang Rihm était plus jeune que certains compositeurs de ce programme lorsque l’Ensemble Intercontemporain lui en passa commande. Le titre de cette « sorte de symphonie de chambre » (selon son auteur), Coupures et fondus, annonce les contrastes qu’elle renferme, tels ces frémissements bousculés par de violents coups de timbales et de cymbales. La rondeur de sonorité de certains traits gagne même une aura webernienne. Sans doute parce que, déjà classique, la partition bénéficie d’une interprétation des plus soignées.

LB