Chroniques

par gilles charlassier

créations de Jarrell, Morciano, Nicolaou et Parra
par les solistes de l’Ensemble Intercontemporain

Centre Pompidou, Paris
- 2 mars 2011
La compositrice italienne Lara Morciano photographiée par Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi

Après un concert la veille à la Cité de la musique [lire notre chronique], nous retrouvons les solistes de l’Ensemble Intercontemporain, selon une configuration partiellement renouvelée, dans la grande salle du Centre Pompidou pour un programme en collaboration avec l’Ircam. La matrice des cinq créations – nationales ou mondiales – est l’exploration, secondée le cas échéant par l’informatique musicale, des limites instrumentales et de la virtuosité.

Dans Assonance IVb pour cor en fa, Michael Jarrell continue une série d’œuvres initiée en 1983 et qui peut être considérée comme un « cahier d’esquisses ». La présente partition, d’une durée de cinq minutes, a été écrite pour Jean-Christophe Vervoitte, interprète de la création ce soir. Si le mot assonance se réfère à une règle de la versification en ancien français, où la dernière syllabe accentuée est la même sur les deux vers, la pièce de Jarrell se situe à mi-chemin entre les variations et l’improvisation. Elle présente une succession de neuf moments, de la vélocité extrême du premier, avec des changements rapides de registre, au lento du dernier, révérence discrète à l’emploi traditionnel du cor. Dans cette suite où les tempi vifs alternent avec de plus contemplatifs, le compositeur expérimente les possibilités expressives de l’appel, idiome dévolu au cor, du héraut solitaire à l’éclatement en un labyrinthe sonore. Jean-Christophe Vervoitte sert cette courte séquence avec une subtilité exemplaire, mettant en valeur la délicatesse des micro-altérations de tessiture.

Jouée pour la première fois à Chypre en février 2010 et dédicacée à l’Ensemble Intercontemporain, qui en donne aujourd’hui la création en France, Anima de Vassos Nicolaou requiert cinq instrumentistes, les deux pupitres de la flûte et de la clarinette prenant en charge les différentes tessitures de leurs instruments respectifs – flûte, flûte alto et flûte basse, clarinette et clarinette basse. L’intention du compositeur chypriote est de superposer des tempi extrêmes contradictoires afin de créer des textures musicales susceptibles de suggérer des effets cinétiques – le programme dit que le travail d’animation de Bruce Bickford avec la pâte à modeler l’a inspiré. La partition commence par une attaque très rapide du piano tandis que les autres pupitres entrent en scène sur des rythmes presque suspendus. Le clavier a parfois des accents rêveurs, à la limite du modal. Il ne manque pas de souffle sur les cordes du violon, à l’extrémité de l’embouchure de la flûte, ou encore le coup d’archet sur le bois du violoncelle. Le piano arrête brusquement le reste de l’ensemble, devenu volubile volière.

Présentée ce soir, l’Étude sur un piano espace de Michaël Levinas, pour piano et électronique, est une reprise de la cadence jouée en prologue du Concerto pour piano espace n°2, créé en 1977 [lire notre chronique du 28 septembre 2010], avec une nouvelle version du dispositif électronique. Les effets de la réalisation électroacoustique rappellent à l’oreille du mélomane la neige télévisuelle de son enfance. Des échos de vague impriment un discret mouvement ondulatoire. La vigueur de la frappe semble vouloir presser la percussivité de l’instrument dans ses ultimes retranchements – Dimitri Vassilakis ne retient guère son énergie presque colérique. Elle s’estompe peu à peu avant de se dissoudre dans la pénombre sonore.

Stress Tensor, pour six instrumentistes et huit pupitres (flûte doublée au piccolo, clarinette couplée à la clarinette basse, piano, violon, alto et violoncelle), est une commande de l’Ensemble Contrechamps au compositeur espagnol Hèctor Parra, créée à Genève en 2010 et ici présentée en première française. La pièce procède par juxtaposition de séquences, d’états, où les expérimentations d’intonations et de sonorités se succèdent : chuintement de l’archet sur le chevalet, usage percussif de l’instrument, jeu soufflant, etc.

La dernière pièce du concert, Raggi di stringhe, pour violon et électronique, est une commande de L’Ircam et du Centre Pompidou à la compositrice italienne Lara Morciano [lire notre entretien de janvier 2009], et apparaît comme un feu d’artifice. Le programme Antescofo, en s’appuyant sur des analyses en temps réel du son de l’instrument, permet une plus grande réactivité de l’ordinateur, pour être davantage « un complément à la virtuosité orchestrale ». La frontière avec celle de l’informatique devient alors de plus en plus difficile à discerner, de même que celle entre temps réel et temps différé. Dans cette pièce d’une quinzaine minutes, Lara Morciano [photo] a voulu mettre à l’épreuve cette nouvelle technologie. La démarche expérimentale n’en est pas pour autant aride. Le babillage du violon de Hae-Sun Hang n’évite pas une certaine redondance harmonique. Mais ce relatif défaut de concision est contrebalancé par une jubilation technique tant de la part du soliste que de la réalisation informatique (José Miguel Fernand) mettant en valeur le registre aigu. Le sérieux de la recherche scientifique ne condamne pas à l’austérité intellectuelle.

GC