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Chroniques
Nabucco | Nabuchodonosor
opéra de Giuseppe Verdi
C’est aujourd’hui la troisième représentation du nouveau Nabucco parmesan, coproduit avec le Théâtre national croate de Zagreb (Hrvatsko narodno kazalište). Comme toujours après une première houleuse, le public se précipite au Teatro Regio pour voir et entendre l’un des ouvrages les plus connus de Verdi et du répertoire lyrique, mais aussi afin de vérifier par lui-même la véracité des bruits qui courent ici depuis le 29 septembre où, parait-il, on aurait beaucoup beaucoup crié dans les rangs.
Stefano Ricci et Gianni Forte sont de ces hommes de théâtre qui ne se contentent pas de répéter complaisamment une pratique traditionnelle en lui insufflant quelques nouveautés ornementales permises par les évolutions technologiques de leur art. Après Turandot (Puccini) et Le château de Barbe-Bleue (Bartók) couplé avec La main heureuse (Schönberg), ils poursuivent une percée dans le monde de l’opéra avec Nabucco – rien que ça, le sacro-saint Nabucco ! Le duo Ricci/Forte l’aborde avec un respect absolu du livret, de chaque mot comme des situations dramatiques et des relations entre les personnages, mais interroge l’œuvre face à notre société. Déplacer la terre ferme du drame biblique sur un cargo qui oppresse des réfugiés pouvait paraître simple provocation dans une Italie où la question de l’émigration rencontre plus d’échos politiques que de considérations humaines. De cette approche du sujet, les plus grincheux disent qu’il s’agit simplement de faire le buzz en se fichant comme de l’an quarante de dénaturer l’ouvrage. Je fais fort heureusement partie de ceux qui ont vu un spectacle rigoureusement mené, dans le décor impressionnant de Nicolas Bovey, somptueusement éclairé par Alessandro Carletti, un spectacle qui transpose l’argument dans un avenir suffisamment proche et lointain pour exagérer un peu le discrédit actuel des valeurs humaines, du propos et de l’audience culturelle : bref, une mise en scène qui interroge le recul tragique de notre civilisation.
Il ne semble pas utile de décrire de manière plus détaillée l’approche infiniment pertinente de Stefano Ricci et Gianni Forte : s’adonner à cet exercice serait se croire tenu à justifier non pas un propos de critique mais l’évidence d’une production que seuls ses détracteurs nient en bloc. La force de ce Nabucco s’impose assez pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en dire plus – laissons grogner les grognons jusqu’à torsion et distorsion de leur docte groin. Les costumes de Gianluca Sbicca s’en tiennent à une stricte soldatesque d’état totalitaire. Par la chorégraphie qui intervient en guise d’intermezzo visuel et narratif, Marta Bevilacqua montre la destruction des livres, donc de la mémoire collective, et la noyade des plus démunis ou des opposants. N’est-ce pas ainsi que se passent toutes les histoires de roi qui veulent être dieu ? Et lorsque le roi est un pouvoir élu par un système démocratique qui a assez montré comme il était facile à corrompre, faut-il pour autant crier au scandale ? Avec une sagesse qui n’a rien d’une réserve calculée, le public de cet après-midi ne prend pas à son compte l’agitation de la première : tant mieux, bravo les gens !
À la tête de l’Orchestra Giovanile della Via Emilia qui intervient sur scène et de la Filarmonica Arturo Toscanini en fosse, on retrouve avec plaisir un jeune chef plus que prometteur : exemplaire, la lecture de Francesco Ivan Ciampa obéit à l’exigence de la partition de précision comme de lyrisme fervent [lire nos chroniques de Stiffelio, Norma, Carmen et Turandot]. L’énergie sert l’œuvre avec brio, dans une tension dramatique sans relâche. Une ciselure soignée révèle les nombreux aspects stylistiques plus délicats du jeune Verdi – il a vingt-neuf ans lorsque son Nabucco est créé à la Scala de Milan, le 9 mars 1842 –, héritier de Rossini pour la clarté de l’écriture orchestrale et de Bellini dans le cantabile. Sous la houlette de Martino Faggiani, l’excellent Coro del Teatro Regio di Parma fait un tabac, tant dans la prestation musicale que pour la scène.
Le plateau vocal est à la mesure d’une entreprise qui s’insère à la perfection dans le Festival Verdi où se rejoignent la qualité artistique et l’inventivité. Aucune faiblesse, donc, y compris parmi les rôles secondaires. Quelle belle découverte que Amartuvshin Enkhbat ! Les moyens sont exceptionnels, en puissance, en étendue, en souffle, et le jeune baryton-basse mongol les cultive avec une musicalité hors du commun et une présence charismatique. Il triomphe haut la main, le grand Michele Pertusi ! Souplesse du phrasé, majesté évidente, impact généreux : face à un Zaccaria d’une telle stature, on s’incline [lire nos chroniques d’I masnadieri, Macbet, Il barbiere di Siviglia, Don Pasquale, Jérusalem, Norma et I puritani]. D’un timbre très clair et d’une projection un peu limitée, le ténor Ivan Magrì campe un Ismaele d’une fraîcheur stimulante. La basse puissante de Gianluca Breda est dans son élément en Grand Sacerdote di Belo, de même que le ténor Manuel Pierattelli en fidèle Abdallo et la lumineuse Elisabetta Zizzo en Anna. Le rôle de Fenena, le fille de Nabucco, est idéalement confié au mezzo-soprano Annalisa Stroppa qui lui offre de vrais trésors de lyrisme. Le soprano grand format de Saioa Hernández [lire notre chronique de Francesca da Rimini] nous vaut une Abigaille des grands soirs : l’aigu est fulgurant, dans une couleur charnue, et le chant se montre agile, avec un grave bien fourni.
Très différentes, les soirées du Festival Verdi de Parme sont volontiers audacieuses. Après I due Foscari dans la mise en scène pondérée de Leo Muscato et Luisa Miller jouée dans le chantier de restauration d’une église du XIIIe siècle [lire nos chroniques de l’avant-veille et de la veille], ce Nabucco imprime sa marque sur une édition 2019 riche en surprises.
KO