Chroniques

par katy oberlé

Carmen
opéra de Georges Bizet

Festival dell'Arena di Verona / Théâtre antique, Vérone
- 11 juillet 2018
Hugo de Ana met en scène Carmen (Bizet) aux Arènes de Vérone
© ennevi | arena di verona

Si l’on se déplace jusqu’aux arènes de Vérone, c’est pour du grand spectacle. Si la grosse machine visuelle est, en plus, bien chantée et correctement accompagnée par l’orchestre, alors tout le monde est content. Bien qu’il ait déjà mis en scène Carmen sous d’autres latitudes, Hugo de Ana remet l’ouvrage de Bizet à son métier, signe une nouvelle production pour le gigantesque amphithéâtre, et, selon son habitude, réalise également les décors et les costumes [lire nos chroniques de ses Don Carlo, Jérusalem, Norma, Samson et Dalila]. Pour ce faire, il a transposé l’argument dans l’Espagne en conflit. Les partisans de la République et ceux de Franco s’opposent dans cette version qui tient la route. L’esprit de liberté de la communauté gitane est mis en avant par cette option. Fini, le repère des contrebandiers : ce soir, il s’agit d’un passage de frontière, vers la France, après la prise du territoire catalan par les phalangistes. L’artiste argentin ne touche pas du tout à l’intrigue mais accentue les relations entre les personnages. Ainsi fait-il de José un amoureux brutal, quelques signes de violence laissant pressentir le dénouement tragique. Du coup, lorsque le meurtre arrive, il entre dans une logique psychologique plus évidente. Carmen est libre, elle ne peut accepter le rapport de soumission que le brigadier veut imposer. Elle ne l’aime plus, elle préfère le toréro, galant qui massacre des fauves, à l’opposé du lâche qui frappe une femme. Et justement, dans ces années trente espagnoles, les femmes ont pris une part très active dans la révolte enthousiaste pour créer un monde meilleur, plus égalitaire, plus juste. Nombre d’entre elles l’ont payé de leur vie. Dans cette perspective, Carmen n’a que faire de minauderies sensuelles : ouf, nous voilà débarrassés des sempiternels envolées de jupons et des mines aguicheuses ! Du grand spectacle ? Oui, il y a tout ce qu’il faut, avec les immenses affiches de spectacles gitans sur les murs du cabaret, les camions, les chevaux, les jeeps et les militaires, partout, la loge royale des arènes de Séville projetée sur celles de Vérone (images de Sergio Metalli), enfin, la chorégraphie, même un peu essoufflée, de Leda Lojodice.

Vocalement, ça va moins bien… Anna Goryachova convainc difficilement dans le rôle-titre. La voix est belle, c’est sûr, mais le grave est terne, parfois trop faible, et l’aigu souvent dur. Ces caractéristiques s’accordent facilement avec le prédicat de la mise en scène, mais privent tout de même l’auditeur d’une incarnation méritant plus de lyrisme. En Micaëla, Mariangela Sicilia est nettement mieux : on apprécie l’homogénéité de la couleur sur toute la tessiture, la fluidité de la projection, et une présence qui sort la jeune fille de la mièvrerie habituelle [lire notre chronique du 11 février 2016]. Par contre, le Don José de Walter Fraccaro est poussif, parfois criard, et accuse, par des ports de voix sinueux, un manque de style assez déplaisant. Une nouvelle fois Alexander Vinogradov montre, en Escamillo, un très beau baryton, corsé et solide, comme on aime, bien que son chant ne soit pas toujours des plus élégants [lire nos chroniques du 22 avril 2014, du 6 février 2015, du 10 décembre 2016 et du 12 décembre 2017].

Les petits rôles sont parfaitement assurés – Gocha Abuladze en Moralès sonore, Gianluca Breda en Zuniga alerte, Davide Fersini en Dancaïre impeccable, sans oublier le Remendado luxueusement confié à l’excellent Enrico Casari [lire nos chroniques du 6 avril 2018, des 3 juin et 14 avril 2016]. La Mercédès d’Arina Alexeeva captive sans problème et Ruth Iniesta livre une Frasquita de grande tenue qui nous fait dire que la chanteuse est sous-employée dans cette partie (comme Casari, cité plus haut, qu’il faudra entendre dans un premier rôle bientôt).

Pour chance, je tombe sur la série dirigée par Francesco Ivan Ciampa ! Voilà un chef qui ne fait aucune impasse et s’intéresse à tout [lire notre chronique du 24 janvier 2017]. La finesse de son interprétation est à l’œuvre dans des nuances remarquables, comme dans l’équilibre précieux des timbres. Il y a du feu, dans sa Carmen, mais dans la lumière. La danse s’envole dans cette clarté toute française de l’interprétation. Orchestre et choristes sont loyalement engagés dans l’aventure, menée avec une intense musicalité.

KO