Chroniques

par laurent bergnach

Moi singe
théâtre musical de Januibe Tejera

youtube.com / Musica, Salle de la Bourse, Strasbourg
- 24 avril 2020
Moi singe, théâtre musical de Januibe Tejera, en création à Musica
© dr

Le 28 septembre 2017, pour la première fois de son histoire, Musica accueillait le compositeur Januibe Tejera (né en 1979), quelques mois après sa participation à Insanæ Navis, dans le cadre du Switch Festival [lire notre chronique du 18 mai 2017]. Il y proposait la création mondiale de Moi singe, une coproduction de différents organismes culturels dont les ensembles Accroche Note et HANATSU Miroir, réunis sur scène durant une heure. En cette période de confinement sanitaire, la circulation d’archives audio-visuelles donne accès à ce théâtre musical.

Son concepteur s’inspire d’une nouvelle pleine d’ironie de Franz Kafka (1883-1924), Ein Bericht für eine Akademie (Rapport pour une académie), initialement publiée dans le mensuel Der Jude en 1917, avant d’être inséré dans le recueil Ein Landarzt (Un médecin de campagne, 1920). Devant un parterre de scientifiques, un être avec un passé de singe, blessé puis capturé sur la Côte de l’Or (Afrique de l’Ouest), raconte son intégration progressive au sein de la société humaine, avec ses espoirs et ses obstacles – « J’ai lu récemment que je n’avais pas encore entièrement dominé ma nature de singe. La preuve en serait que j’aime retirer mon pantalon pour montrer l’endroit par où la balle est entrée ». Dans sa cage, en route pour l’Europe, il imite les marins alentour : il crache, fume la pipe, vide une bouteille et articule son premier mot – « Je le répète : je n’avais pas envie d’imiter les hommes, Non ! Je les imitais parce que je cherchais une issue, pas une autre raison ». Car une nouvelle prison l'attend à l'arrivée, au jardin zoologique, qu'il faut à tout prix éviter…

« Le personnage ne parle pas d’une voix comme la nôtre, précise Tejera (brochure de salle). C’est une voix empreinte de deux mondes, deux personnages, une voix en deux voies. C’est justement dans cette quête de la rencontre de sa propre voix que la musique surgit comme une nécessité à ce discours ». Deux artistes lyriques portent les treize scènes du spectacle : le soprano Françoise Kubler, membre bien connu d’Accroche Note qui excelle à rendre les effets humoristiques [lire notre critique du CD], et le baryton Thill Mantero, à l’aise dans la puissance comme dans la douceur [lire notre chronique du 17 mars 2015]. Réalisateur en informatique musicale, Dionysios Papanicolaou contribue à accentuer l’ambivalence vocale, en temps réel.

Déjà auteur du livret, le créateur brésilien se charge aussi de la mise en scène, secondé par le scénographe Jean-Baptiste Bellon. En surplomb des deux cages métalliques qui délimitent la scène – Rémy Reber (guitare électrique) côté jardin, Olivier Maurel (percussion) côté cour –, apparaissent régulièrement quelques vidéos signées Marie-Anne Bacquet, porteuses d’images en noir et blanc, originales ou empruntées sans doute à Muybridge [lire notre chronique du 27 septembre 2014]. Quatre autres musiciens se tiennent en fond de scène, sur une double estrade : Armand Angster, Thomas Monod (clarinettes), Ayako Okubo (flûtes) et Jean-Daniel Hégé (contrebasse). Ces deux derniers livrent des soli qui participent d’une musique souvent délicate et aérée, propice à l’épanouissement des voix et de l’émotion.

LB