Chroniques

par laurent bergnach

Insanæ Navis
spectacle du collectif WARN!NG

Switch Festival / Panopée, Théâtre de Vanves
- 18 mai 2017
Insanæ Navis, spectacle du collectif WARN!NG sur la folie tranquille
© marikel lahana

Depuis 2011, le collectif WARN!NG se nourrit de l’énergie, de la créativité et de la diversité de ses membres (musiciens, compositeurs, danseurs, vidéastes, ingénieurs du son, etc.) pour proposer des spectacles originaux, en phase avec le temps présent. Concert ou performance, ceux-ci prouvent d’un goût pour l’expérimentation, voire l’improvisation. Aujourd’hui, dans le cadre du Switch Festival, cet ensemble collégial présente pour la première fois Insanæ Navis, une œuvre commandée au Brésilien Januibe Tejera (né en 1979), mise en scène par Clara Chabalier et scénographiée par Franck Jamin.

Par une gravure d’Albrecht Dürer (1471-1528) illustrant Das Narrenschiff de Sébastien Brant (1458-1521) ou une toile de Jérôme Bosch (c.1450-1516), chacun garde une représentation visuelle de ce navire rempli de fous, un thème très populaire en cette fin de XVe siècle propice aux conflits sociaux et crises religieuses. L’image vient à l’esprit lorsque, cerné par les estrades de dix musiciens-acteurs dans la pénombre d’une salle truffée de mats-balanciers, le public s’installe sur des banquettes recouvertes d’un matelas gonflable – roulis assuré dès qu’un de vos cinq voisins soulève une fesse ! Comme on dirait chez Wenders et Handke : « nous sommes embarqués »… Durant cette heure qui fait de la folie un acte de liberté individuelle, de désobéissance face à la norme – mais sans violence frontale –, on note six épisodes principaux, liés par un magma moins définissable (appeaux, etc.).

Le premier est l’irruption inquiétante, puis drolatique de Maxime Morel avec son tuba, via un ascenseur où il se cachait. Son énergie déambulatrice et jacasseuse s’épuise après un moment, aidé en cela par des camarades qui entrave sa logorrhée musicale à l’aide de ballons de baudruche. Devant une partition sur rouleau qu’on lui présente, le flûtiste Samuel Bricault gagne en volubilité, accompagné par des vagues psychédéliques dignes de Romitelli, avant d’émettre des plaintes. Ce dérangé dérange, et on remet vite en place chaque boite en carton ondulé qu’il heurta sur le podium central. Amorcé par des bruits de gréements (craquements, couinements, raclements), le troisième épisode laisse place à la parole, d’abord susurrée dans les haut-parleurs – peut-être des bribes de Müller, Foucault et Chomsky, ayant fécondé le compositeur –, puis reprise par des marcheurs jusqu’au brouhaha.

Feu de Saint-Elme emprunté à la mer, un néon scintille à la verticale, dans le noir. Pour Carmen Lefrançois (saxophone), Sylvain Devaux (hautbois) et Samuel Bricault, c’est l’instant de former un trio d’humour, éloge ou simple constat d’une bestialité pétrie de gémissements haletants. Les joueurs de cordes prennent le relais, au pied des quatre murs : Julia Robert (alto), Éloïse Labaume (harpe), Elise Dabrowski (contrebasse), Rémy Reber (guitare) et Alvise Sinivia (piano). Ce dernier rythme la séquence face à une table d’harmonie suspendue par des chaînes, frappée des deux mains, caressée façon harpe éolienne ou rendue gémissante à l’aide de liens plastifiés. Enfin, voici le dernier tour de piste, sur fond de ressac et de larsen, dans le paroxysme d’objets gonflables sortant des cartons. La pression redescend, tandis qu’on rend leur liberté aux balles de ping-pong qui patientaient sagement…

Le 1er juin prochain, au Collège des Bernardins (Paris), on retrouvera le collectif dans une création placée sous le signe de l’improvisation et du soundpainting, avec des compositions signées Vincent Lê Quang. Danseuses, accordéon et ondes Martenot sont attendus !

LB