Chroniques

par bertrand bolognesi

Macbet | Macbeth
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra national de Bordeaux
- 25 janvier 2012
Macbeth, opéra de Verdi, photographié à Bordeaux par Frédéric Desmesure
© frédéric desmesure

Pour sa nouvelle production de Macbeth, la scène bordelaise (qui, pour l’occasion, s’associe la nancéienne) invite l’équipe complice constituée par le costumier Daniel Ogier, le décorateur Bernard Arnould et le metteur en scène Jean-Louis Martinoty. Après le Faust qui hérissa le poil parisien cet automne [lire notre chronique du 28 septembre 2011], la tension n’est pas des moindres, en ce soir de première au Grand Théâtre.

Sans conteste, le monde de mannequins, poupées, projections, références multiples, accessoires et profuses qu’investit la créativité de Martinoty (à moins que ce soit l’inverse, qui sait…) s’accommode plus heureusement avec la tragédie Shakespearienne spaghetti qu’avec le copieux souper de Gounod. Ainsi de sorcières double-face qui ricanent de leur Arthur dorsal volontairement trop maquillé, de courtisans assez grotesquement attifés, de baigneurs joyeusement poignardés, d’une Lady Barbie qui fait tourner les têtes (si ce n’est, fort malencontreusement, les oreilles – mais ne mélangeons pas les pièces et leurs histoires de poison) et, surtout, d’un omniprésent jeu de miroir déformant, autant d’images du pouvoir à gagner à tout prix et à maintenir, jusqu’au transfert des angoisses d’un roi pleutre se révélant courageux une fois sa dame intoxiquée des peurs dont le voilà débarrassé (c’est donc autant à l’amour qu’au pouvoir que réfléchit le dispositif).

Si le principe se fait comprendre, ses procédés encombrent bientôt l’argument qu’ils ne dérespectent cependant pas. La surcharge de symboles, d’envers du décor et de sous-texte finit par étouffer l’action, quand bien même certains moments bénéficient d’un traitement parfois séduisant – il n’est qu’à citer le troublant et pictural mezzo confuso miroitant dans la brume grasse de la première apparition des sorcières, par exemple, passionnant. Encore n’aurait-il pas été superflu d’opérer un choix parmi les quelques mille et une idées à générer le projet, car si chausse-trappes comme farces-et-attrapes sont certes mieux vus dans le Grand-Guignol shakespearien (Hugo ne nous contredira pas) et l’extrême grandiloquence verdienne que les cires empruntées à Mathé-Curtz ou à sa nièce Marie Grosholtz (autrement dite Tussaud) dans Andrea Chénier [lire notre chronique du 7 mars 2008], encore ne vérifient-ils pas la parfaite croisée des eaux référentielles de Thésée – mais sans doute la verve baroque offre-t-elle une « nature » plus propice à la chose [lire notre chronique du 25 février 2008]. Encore parle-t-on scénographie plutôt que mise en scène, partant que ce dernier aspect semble cruellement dépourvu de direction d’acteurs. Aussi l’ultime rideau tombe-t-il dans le précieux souvenir que l’on garde encore de la poétique proposition signée Frigeni, vue sous le même ciel (2002) : simplement et brutalement ensorcelante.

Un plateau vocal assez satisfaisant sert cette représentation de la seconde version de l’ouvrage (Paris, 1865 ; l’originale avait été créée en 1847, à Florence), avantageusement privée de son ballet. On y remarque le soprano Aurélie Ligerot en Dame d’honneur, le Malcolm efficacement timbré du jeune Xin Wang, plus encore le solide Macduff du Roumain Calin Bratescu, enfin l’excellent Banquo de Brindley Sherrat : naturellement impactée, la voix fait merveille à imposer sans ostentation une présence robuste. Quant au rôle-titre, après des premiers pas un rien tendus Tassis Christoyannis libère, dans une ligne vocale toujours soigneusement conduite, un aigu souple et puissant dont la lumière puise sa superbe à la riche source des harmoniques graves. Sensible, ce Macbeth-là s’avère un grand sensible (« enfant ambitieux et sans courage », dit-elle) au chant délicatement nuancé (« tutto e finito » à fondre).

À un chœur maison en progrès constant (préparé par Alexander Martin) répond un Orchestre National Bordeaux Aquitaine en grande forme dont il faut saluer les cordes saines et les bois fiables. Au pupitre, Kwamé Ryan voyage avec une fougue tant audacieuse qu’avisée dans une dramaturgie dont rien n’échappe à son sens du théâtre. Son interprétation, toujours proche des voix et soucieux des équilibres, affirme adroitement mouvements et contrastes pour un résultat expressif.

BB