Chroniques

par bertrand bolognesi

Andrea Chénier | André Chénier
dramma di ambiente storico d’Umberto Giordano

Opéra national de Lorraine, Nancy
- 7 mars 2008
Andrea Chénier, le célèbre opéra d’Umberto Giordano, à Nancy
© ville de nancy

De la dizaine d’opéras composée par Umberto Giordano, la postérité n’aura guère retenu que la Fedora donnée à Milan en 1898 et, avant tout, cet Andrea Chénier créé lui aussi à la Scala deux ans plus tôt. Remarquant qu’au-delà de sa renommée celui-ci n’en demeure pas moins assez peu joué, l’on se réjouira d’une actualité lyrique française qui permet d’en goûter à quelques jours d’intervalle la nouvelle production nancéienne et la reprise à Limoges de celle de Liège.

À la tête de l’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy, c’est une lecture d’une grande sobriété que défend Paolo Olmi. En dépit d’une présence dramatique restreinte, la fosse paraît leste, l’articulation légère, l’inflexion élégante, la définition relativement vigoureuse : autant de qualités que n’encombre aucun excès d’emphase. Le spectre de la froideur est maintenu à l’écart, comme en témoigne l’infinie sensibilité du solo de violoncelle du troisième acte, ici d’une rare fiabilité, que Pierre Fourcade livre d’une respiration sachant conjuguer générosité de la couleur et discrétion du phrasé. La prestation des artistes du Chœur maison et de ses voix supplémentaires n’est pas en reste, tant pour l’efficacité musicale que pour l’investissement théâtral, complice et cohérent.

L’ouvrage de Giordano n’est pas des plus aisés à monter. Outre qu’il nécessite un sens précis de l’action condensée, il convoque une distribution assez développée qu’on ne saurait résumer à un quatuor principal. Peut-être ces exigences expliqueront-elles le peu de fréquentation qu’en ont les maisons d’opéra. Les seconds rôles paraissent équilibrés, avec la Bersi toute de joliesses de Diana Axentii, le Mathieu irréprochable de David Bizic, l’autorité exemplaire d’Antoine Garcin en Fouquier-Tinville, la clarté dominante de Christophe Gay en Fléville, la puissance d’Eric Huchet (d’abord en Abbé, mais surtout en Incroyable) et l’impact incontournable d’Eric Freulon (Majordome, Dumas et Schmidt).

Avec un plaisir qui ne ternit pas on retrouve Michèle Lagrange en Comtesse, campée sur un vibrato d’une ironique dignité, et en Madelon, sombre et directement émouvante. En revanche, le rôle de Gérard ne supporte pas la pâleur ; voilà bien un personnage de sang et de feu ! Sans que le chant ou l’outil soient à mettre véritablement en cause, l’incarnation falote de Piero Guarnera ne prend pas. Libérant peu à peu une jouissive plénitude vocale mue par une confondante souplesse de ligne, Martine Serafin [lire notre chronique du Rosenkavalier nancéien, le 31 mars 2005] est une Madeleine infiniment lyrique à la hauteur de laquelle Carlo Scibelli a du mal à se situer ; son Chénier n’est pas déshonorant, loin s’en faut, mais souffre de ports-de-voix malvenus si ce n’est maladroitement amenés, d’un aigu trop souvent forcé, de nombreux soucis de justesse.

Le lecteur s’étonnera peut-être de lire sur cette page que le public salue chaleureusement Roucher. C’est que l’aura convaincu une basse chinoise de vingt-neuf ans, Wenwei Zhang, par la fermeté de son émission, la santé de la projection, l’évidence de la couleur, la rondeur de la phrase et la robustesse de la pâte générale. Pour sûr, voilà une découverte que, capable de recueillir des bravi enthousiastes dans un si maigre rôle, l’on a hâte de retrouver dans des parties d’envergure.

Dans un décor de Bernard Arnould réalisé par les ateliers de l’Opéra national de Lorraine, Jean-Louis Martinoty fait évoluer les figures, costumées par Daniel Ogier, dans la lumière de Jean-Philippe Roy. Une fois de plus, le metteur en scène jalonne son travail de références pertinentes, qu’elles soient crucifix retourné ou Embarquement pour Cythère (Watteau). Mais les proportions de la scène lorraine ne supportent guère les grands murs mobiles d’une scénographie assez encombrante. Outre que l’espace est fort mal géré, l’œil se perd dans des symboles qui se serrent les uns contre les autres jusqu’à l’écrasement. Certes, les idées sont là, plutôt bonnes, mais peut-être aurait-il fallu en sacrifier quelques-unes pour en fortifier d’autres. Enfin, si l’on sent bien une volonté de direction d’acteurs, le résultat demeure pâle et les chanteurs peu concernés.

BB