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Chroniques
Lyrische Sinfonie Op.18 d’Alexander von Zemlinsky
Concerto pour piano Op.103 n°5 de Camille Saint-Saëns
De Victor Hugo, il suffit de feuilleter Les Orientales (1829) pour conclure que l’exotisme qui nourrit l’imaginaire romantique au XIXe siècle, et sert de thème à l’édition 2016 du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées, explore des terres au Sud autant qu’à l’Est de la France. Ainsi l’auteur d’Han d’Islande évoque-t-il « arabe du Caire » (Bounaberdi), « austère Alcantara » (Grenade), « golfe de Cyrénaïque » (Lazzara), « huit Bavières » (Le Danube en colère), « Missolonghi fumante » (Les têtes du sérail) et « tribus de l’Ukraine » (Mazeppa). Avant le concert de ce soir, sillonnant le Golfe Persique ou l’Asie, les mélomanes purent déjà savourer Shéhérazade (Ravel, Rimski-Korsakov), Ba-Ta-Clan (Offenbach), Zoroastre (Rameau), La Péri (Dukas) ou encore, à destination des enfants, Marco Polo et la Princesse de Chine (Aboulker).
« Fils d’une tradition de clarté et d’évidence » – comme l’appelle Jacques Bonnaure dans sa biographie (Actes Sud, 2010) [lire notre critique de l’ouvrage] –, Camille Saint-Saëns (1835-1921) créé lui-même au piano, à vingt ans d’écart, ses Concerto en ut mineur Op.44 n°4 (1875) et Concerto en fa majeur Op.103 n°5 (1896). Recherché comme interprète depuis un premier récital donné à onze ans (Beethoven, Händel, Bach, etc.), le musicien apprécie de découvrir le monde (Angleterre, Russie, Indochine, États-Unis, etc.), parfois même incognito, quand s’impose le besoin d’isolement (Maroc, Espagne, Ceylan, etc.). L’Algérie devient une seconde patrie, mais c’est à Louxor qu’est conçu le Cinquième concerto, dès lors surnommé L’Égyptien.
Du père d’Hélène [lire notre critique du CD], ancien élève de Camille-Marie Stamaty, Alfred Cortot notait « le caractère sec et mécanique de son approche du piano » (ibid.)… idéal pour le clavecin. L’idée d’une tendre rudesse vient à l’esprit quand Bertrand Chamayou aborde l’Allegro moderato, mouvement européen partagé entre intimisme délicat et fièvre postromantique. Il faut attendre l’Andante pour que rayonne un orientalisme exploré en France depuis Félicien David [lire notre critique des CD Le désert et Lalla Roukh]. Virtuose et brillant, le Molto Allegro clôt cet échange avec l’Orchestre national de France, avant que l’interprète n’offre un bis ravélien, Pavane pour une infante défunte, dans un dépouillement rigoureux.
Gagnons Prague où fut créée la trop rare Lyrische Sinfonie Op.18 (1924) [lire nos chroniques du 3 décembre 2010 et 11 février 2004]. Avant de connaître l’exil américain avec Schönberg, son beau-frère, le Viennois Alexander von Zemlinsky (1871-1942) se tourne vers l’Inde de Rabindranath Thakur, dit Tagore (1861-1941) – dont on oublie qu’il fut aussi compositeur, peintre et grand voyageur. L’auteur de Der König Kandaules [lire notre critique du CD] propose donc sept Lieder enchaînés, inspirés par Le jardinier d’amour (1920), que donnent en alternance baryton et soprano. Soucieux de nuance, Christian Immler est parfois malmené par John Neschling, chef au diapason d’une ampleur expressionniste. D’abord acide et crue, Malin Hartelius gagne vite une rondeur émouvante qui séduit, tout comme son souffle et sa puissance.
LB