Chroniques

par bertrand bolognesi

Lyrische Sinfonie Op.18 d’Alexander von Zemlinsky
Orchestre Philharmonique de Radio France

Salle Pleyel, Paris
- 3 décembre 2010
Angela Denoke chante la Lyrische Sinfonie de Zemlinsky à Pleyel (Paris)
© dr

Poursuivant la soirée du 27 novembre, dont ces colonnes se firent l’écho [lire notre chronique], le programme d’aujourd’hui, pour ne pas exactement remonter le temps, pourrait avoir l’air de remonter dans la radicalité des esthétiques viennoises début de siècle. Ainsi commence-t-il par les Six pièces Op.6 d’Anton von Webern dans leur version de 1928 – partant qu’elles furent initialement conçues en 1909, puis créées une première fois trois ans plus tard à Vienne, sous la battue de Schönberg –, jouées pour la première fois par Hermann Scherchen en janvier 1929, à Berlin, alors capitale de la modernité. Àla tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, l’Allemand Peter Hirsch en livre une lecture plus royaliste que le roi, pour ainsi dire, sans pour autant profiter véritablement de la clarté qu’offre un tel parti pris de sécheresse. Après un Bewegt anémié, c’est avec la troisième de ces pages, Mäßig, que le concert entrera enfin dans son sujet. Le geste musical naît ici, sans se départir pour autant du choix d’austérité, mais non pas de rigueur, de l’exécution – parlant de rigueur, il n’y faudra point trop regarder, à entendre les nombreuses approximations d’un orchestre qui s’affirme moins fiable que samedi dernier. Aussi les cordes se reprennent-elles avec Sehr langsam, tandis que l’ultime Langsam suscite un travail précis des timbres.

Àl’inverse de l’Opus 6 de Webern, violemment conspué par un public indigné par leur lapidaire radicalité, ce public dont la patience fut mise à rude épreuve lors du concert désormais légendaire du 31 mars 1913 (Skandalkonzert !), la Suite lyrique pour quatuor à cordes d’Alban Berg eut l’avantage, par-delà une modernité bien présente cependant, de séduire les mélomanes de son temps, dès sa création par le Quatuor Kolisch en janvier 1927. Dans le courant de l’année suivante, le compositeur décide d’orchestrer trois des six mouvements de la partition originale : ces Andante amoroso, Allegro misterioso etAdagio appassionato pour cordes seraient créées également à Berlin, par Jascha Horenstein, deux jours après l’œuvre précédemment entendue. De l’interprétation de ce soir, l’on appréciera l’évidence de l’articulation, tout en regrettant une certaine étroitesse de vue, un ambitus expressif contrit, un cruel manque de couleur et une inflexion qui s’avère tout ce que l’on veut sauf lyrique, précisément (sans parler de sérieux problèmes de mise en place).

Il semble bien que les efforts se soient concentrés sur la Symphonie lyrique d’Alexander von Zemlinsky, d’ailleurs inspiratrice de la Suite juste évoquée. Cette œuvre aux vastes proportions demeure encore rare au concert, et l’on comprendra aisément qu’il faille la privilégier afin de la servir le mieux possible. Cependant, les pages précédentes, pour être plus fréquentes, ne sont pas des plus faciles d’accès pour un orchestre. Rien de grave : le plat de résistance avoué de ce rendez-vous est bel et bien cet opus 18 qui emporte l’écoute comme jamais. En effet, la relative timidité d’approche de Peter Hirsch se révèle ici salutaire, ne se laissant jamais embarquer à surenchérir un art de l’effet, déjà excessif par nature avec le compositeur. Alors en poste à Prague, Zemlinsky se penche sur la poésie de Rabîndranâth Tagore et imagine, en 1922, une symphonie chantée, à l’instar du Lied von der Erde de Mahler qui avait vu le jour sous la battue de Bruno Walter, à Munich, six mois après la disparition de son auteur. Sept Lieder constitueront la troisième de ses quatre symphonies, Lieder qu’elle distribue tour à tour au baryton et au soprano.

Dès après un introït qu’on jurerait emprunté à quelque péplumplus tardif, Peter Mattei impose un timbre prégnant dans un chant posé au phrasé évident. Mais tout va très vite se gâter, non pas que le baryton suédois s’avèrerait insuffisant, non, mais la partition affirmera ensuite toute son opulence dans ses parties. À l’inverse, l’écriture fait la part plus que belle au soprano, lui donnant systématiquement la possibilité de dominer le chant. Ainsi, souveraine, la femme de cette symphonie domine-t-elle tout naturellement le duo – et l’on se retiendra d’avancer plus un certain ressenti quand à l’appréhension du féminin par un Zemlinsky dont on a trop dit les mésaventures comme la laideur physique, signes particuliers qui ne sauraient être indifférents dans la composition de l’opéra Der Zwerg, strictement contemporain. N’oublions cependant pas de dire, quoiqu’en masque le pouvoir de fascination d’Angela Denoke [photo], que Peter Mattei ne démérite pas et, bien que l’évidence ne s’en fasse pas forcément ressentir, se montre d’une vaillance à toute épreuve. La plume généreuse de Zemlinsky pourrait bien avoir voulu ne renoncer à rien, de sorte que l’orchestre qu’elle convoque grouille littéralement d’effets, autant de chimères ornementales que Peter Hirsch respecte soigneusement sans jamais leur faire un sort. Il signe une interprétation savamment dosée de cette Symphonie lyrique qu’il dessine vigoureusement jusqu’à la rendre moins monstrueuse qu’elle sait l’être pourtant.

BB