Chroniques

par bertrand bolognesi

Lieder aus Des knaben Wunderhorn par Michael Gielen
Südwestrundfunk Sinfonieorchester Baden Baden und Freiburg

Christiane Iven et Hanno Müller-Brachmann
Opéra de Dijon / Auditorium
- 30 mars 2011
Michael Gielen à la tête du Südwestrundfunk Sinfonieorchester Baden Baden und Fr
© dr

Après Fribourg et Baden Baden et avant Monte Carlo (où l’opus de Dvořák cèdera la place à Schönberg), c’est à Dijon que fait escale ce copieux programme de l’excellent Südwestrundfunk Sinfonieorchester, dirigé de main de maître par Michael Gielen, l’un des meilleurs chefs de sa génération. En cette année des cent ans de la disparition de Gustav Mahler, la formation allemande honore la Symphonie « Résurrection » en ut mineur n°2, la Symphonie « Titan »en ré majeur n°1 et Das Lied von der Erde dans la version pour baryton. Aguerri à l’œuvre du compositeur dont il révélait les arcanes à travers une dense intégrale gravée à la tête de cet orchestre et parue chez Hänssler [lire notre critique CD], Michael Gielen a choisit de faire entendre quelques-uns des Lieder du Knaben Wunderhorn orchestrés.

Dès les premières mesures de Der Schildwache Nachlied, il impose une relative austérité de ton à l’interprétation. On retrouve le jeune baryton Hanno Müller-Brachmann, remarqué dans Golaud à Berlin [lire notre chronique du 31 octobre 2003] comme dans ce même Knaben Wunderhorn à Paris [lire notre chronique du 14 juin 2004]. Si la solidité de sa phonation surprend, on l’aimerait un peu plus nuanceur. Le soprano Christiane Iven se fait tout onctuosité, comme en témoignera le charmant babillage de Verlorne Müh où le legato fait merveille. Gielen ciselle des couleurs comme rarement entendues dans cette musique qui, alors, prend des atours symbolistes bienvenus. Le timbre de la chanteuse s’épanouit plus encore, dans la clarté comme dans le moelleux, dans un Wer hat dies Liedlien erdacht ? qui donne envie de se laisser raconter des histoires par cette voix des heures durant. Le chef envenime ensuite Das himmlische Leben, accordant un relief remarquable à chaque trait solistique sans surligner jamais le trait. Christiane Iven livre le chant dans une tendresse étonnante, toujours superbement souple, disant le poème comme l’on parle le plus aimablement qui soit, sans jamais mordre les mots.

Facétieux, le baryton répond au vigoureux jeu de contrastes dans Trost im Unglück, puis bouleverse par la fiabilité de la projection, toujours incroyablement musclée, dans un Lied des Verfolgten im Turm cependant un peu monolithique. Michael Gielen insuffle une énergie sournoise à la sinuosité malsaine de Das irdische Leben où s’élève, confondant de naïveté, le chant du soprano ; c’est précisément parce que tout y est simple, sans aspérité dans le timbre ni surenchère dramatique, qu’effrayant devient ce Lied. Le miraculeux équilibre pupitral du Südwestrundfunk Sinfonieorchester Baden Baden und Freiburg se vérifie une fois de plus dans Urlicht, en lévitation après les délices d’un choral de cuivres exemplaire. Et c’est avec Wo die schönen Trompeten blasen que s’achève la première partie de ce concert, Christiane Iven osant des mezza voce d’une rare subtilité, tandis qu’enfin Hanno Müller-Brachmann donne la mesure de toute la musicalité dont il est capable, les voix se répondant dans la profondeur inouïe de la pâte orchestrale.

D’une vingtaine d’années l’aîné de Mahler, Antonín Dvořák mettait un point final à sa Symphonie en ré mineur Op.70 n°7 sept ans avant que le Viennois s’attèle à l’orchestration de ses Knaben Wunderhorn Lieder. Nous voilà donc à Londres, au St James Hall, le 22 avril 1885, où l’œuvre à sa première rencontre un accueil triomphal.

Au grand geste beethovenien de l’Allegro maestoso initial, dont les interruptions faussement capricieuses annoncent Janáček, Michael Gielen marie des couleurs lisztiennes, par delà une généreuse homogénéité des cordes. La fougue s’en trouve ici sagement conduite, sans esbroufe. Il dessine ensuite à l’hésitante mélopée du Poco adagio son caractère wagnérien, avançant sur une couette feutrée très savamment tissée. La danse inquiète du Scherzo, un rien brahmsienne mais tellement tchèque, module frénétiquement : le chef met systématiquement le doigt là où il faut. Enfin, cordes toniques, cuivres rutilants et bois richement parfumés trouvent à somptueusement conjuguer leurs efforts dans l’Allegro final, sur les bondissements puissants des contrebasses, particulièrement sollicitées, Michael Gielen donnant libre cours à l’exubérance du caractère. Une grande soirée, assurément.

BB