Chroniques

par bertrand bolognesi

Lieder aus Des Knaben Wunderhorn par Myung-Whun Chung

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 14 juin 2004
© monika rittershaus

Pour ce dernier concert de la saison de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, son directeur musical a choisi une atmosphère viennoise avec Strauss et Mahler. Pour commencer, nous entendons des extraits orchestrés du recueil des Knaben Wunderhorn Lieder dans lequel Gustav Mahler puisa de nombreuses sources d’inspiration pour les mouvements de ses symphonies. Le baryton Thomas Quasthoff, initialement prévu, est remplacé par Hanno Müller-Brachmann [photo], un chanteur que nous avions le plaisir d’entendre cet automne en Golaud à la Staatsoper de Berlin [lire notre chronique du 31 octobre 2003]. Grâce à une diction exemplaire, à un timbre chaleureux, une projection égale et une pâte sonore uniforme, il donne de ces Lieder une interprétation passionnante, intelligente et sensible.

Ainsi Rheinlegendchen bénéficie d’une impressionnante maîtrise, développé sans contraste, comme un récit immuable qui suit son cours, tel le fleuve, et ne s’arrête qu’au fond des eaux. Le glaçant Tamboursg’sell est expressif sans que l’élégance de la ligne de chant s’en voit gênée. On a généralement tendance à l’excès, dans cette mélodie macabre, et beaucoup de chanteurs vont jusqu’à en aboyer certains traits ; pour sûr, elle appartient en partie à une esthétique horrifique et contient une violence évidente : mais son charme est précisément d’équilibrer ballade gothique, théâtre et beauté du chant. Plus que jamais, la voix ne doit pas s’altérer : une relative identification au narrateur implique une jeunesse et une santé qui rendent le dénouement d’autant plus dramatique. Hanno Müller-Brachmann l’a fort bien compris. De même, Chung installe-t-il un climat inquiétant, à la fois tendu et tendre, plein de suspens.

Passant sans encombre en voix mixte, le baryton offre à Urlicht une grande douceur, un Lied que le premier violon accompagne d’une couleur travaillée, mi bohémienne mi juive, à la fois âpre et précieuse. Dans Revelge, l’orchestre s’avère trop moelleux, n’exprime rien de cette méchanceté ou de cette froideur terrible de certains passages du poème, et n’évolue pas durant l’exécution. En revanche, Müller-Brachmann mène ce drame miniature avec un art subtil de la nuance, s’engageant dans le texte avec intelligence, sans excès ni grimaces (vocalement ou physiquement). Après un Antonius von Padua Fischpredigt délicieusement généreux, Lob des hohen Verstandes est livré avec beaucoup d’esprit, le chef se montrant minutieusement à l’écoute du chant. Facétieux et plein d’humour sans la vulgarité d’un clin d’œil, le baryton mène magnifiquement ce dernier Lied.

C’est à Francfort au printemps 1899 que Richard Strauss lui-même dirigeait la première de son septième et dernier poème symphonique, Ein Heldenleben, une partition qui convoque un effectif instrumental impressionnant dont on retrouvera quelques aspects plus tard dans ses opéras. Myung-Whun Chung nous plonge tout de suite dans le climat du premier des six mouvements enchaînés auquel il offre un grand geste enthousiaste entretenu sur toute la durée. Le premier violon abandonne la sonorité bohémienne pour une couleur plus chambriste et nettement viennoise, s’affirmant en véritable personnage musical et narratif de l’œuvre. Toutefois, la lecture de Chung se montre pauvre et d’un seul tenant, manquant de révéler les différents plans sonores dans la masse orchestrale. La gamme des nuances paraît assez réduite et peu diversifiée, et la dynamique générale se contente souvent d’appuyer des effets plutôt grossiers de grands contrastes. C’est dans la dernière partie qu’on retrouve l’art et le talent du chef, un épisode qu’il construit avec pertinence, inventivité et musicalité, ne se limitant pas à un vague sens du théâtre traduit dans l’aléa du choc sonore, mais posant réellement des énigmes.

BB