Chroniques

par bertrand bolognesi

Il Pirata | Le pirate
opéra de Vincenzo Bellini

Opéra de Marseille
- 25 février 2009
Stephen Medcalf met en scène Il Pirata (Bellini) à l'Opéra de Marseille
© christian dresse

C’est précisément avec Il Pirata que s’ouvrit la grande carrière d’opéra de Vincenzo Bellini, le 27 octobre 1827, à la Scala. Destin curieux s’il en fut : à vingt-six ans, le musicien sicilien a surtout écrit des pages religieuses et quelques opus chambristes, s’essayant à peine à la scène lyrique sous la contrainte de l’examen qui le fera compositeur. Ayant toujours entretenu un goût heureux pour la romance, goût dont se nourrit son génie mélodique, Bellini rencontre immédiatement le succès avec ce coup d’essai napolitain, de sorte que l’impresario Domenico Barbaja lui suggère de se pencher sur Bertram or The Castle of St Aldobrand, drame gothique du huguenot dublinois Charles Robert Maturin, donné à Londres en 1816, traduit plus tard en français par Nodier et Taylor (Bertram ou Le pirate).

Chargé du livret, Felice Romani – érudit génois auteur de quatre textes pour Rossini (dont Il Turco in Italia) et de sept pour l’alors illustre Mayr, quelques années plus tôt – ne sait pas encore qu’il s’engage avec beaucoup de bonheur dans une collaboration suivie qui donnerait le jour à La Straniera (Milan, 1828), Zaira (Parme, 1829), I Capuleti e i Montecchi (Venise, 1830), La Sonnambula (Milan, 1831), Norma (Milan, 1831) et Beatrice di Tenda (Venise, 1833), soit la totalité de la production bellinienne, si l’on excepte I puritani (Paris, 1835), ultime opéra, créé quelques mois avant la mort du compositeur.

Le public d’aujourd’hui voit régulièrement Norma, La sonnambula ou I Capuleti e i Montecchi. Il Pirata demeure rare. Aussi se réjouit-on de l’entendre, dans la nouvelle production marseillaise réalisée par Stephen Medcalf. Sans réellement transposer l’action, la mise en scène brouille ingénieusement les pistes, contredisant le XIIIe de l’intrigue comme XIXe de Bellini par des éléments plus modernes, un climat évoquant certains fascismes, celui d’uniformes à mi-chemin entre l’Italie mussolinienne de la fin des années vingt et la plus récente Espagne franquiste.

De fait, sait-on bien où se passe cette histoire ?
Sur la côte sicilienne, au XIIIe siècle. Plutôt que d’encombrer le spectateur en convoquant la reconstitution historique, improbable de toute façon, Medcalf, avec la complicité de Katia Duflot pour les costumes et de Jamie Vartan pour les décors, préfère laisser planer un parfum d’oppression politique (qu’il se garde de définir) sur une évocation bien plus concrète : la mer, omniprésente, et ses colères. Plus romantique, voire symboliste que psychologique, cette lecture sert sensiblement l’ouvrage qu’on découvre moins conventionnel que bien des partitions de son temps.

On félicitera l’Opéra de Marseille d’avoir remis à l’affiche Il Pirata qui n’y fut plus joué depuis 1838, et d’avoir choisi une distribution propre à en transmettre les qualités. Murielle Oger-Tomao est une Adele à l’émission facile, au timbre chaleureux doté d’un aigu toujours souplement atteint. S’il ne bénéficie pas d’un format ou d’une projection aptes à le placer sur le même rang que ses camarades, Bruno Comparetti chante un Itulbo honnête. La large pâte vocale de Fabio Maria Capitanucci, quoiqu’assez instable dans le bas-médium, mais riche dans l’aigu, campe un Ernesto de grande classe. L’excellent Ugo Guagliardo, basse noble au gracieux phrasé, magnifie le rôle de Goffredo.

Le soprano dramatique Ángeles Blancas Gulín offre à Imogene le médium superbement coloré d’une très grande voix. Un omniprésent sens du drame nourrit sa prestation, remarquable par une agilité étonnante qui se joue tout naturellement de l’écriture déraisonnablement virtuose de ce rôle. Un curieux métal vient toutefois durcir l’aigu, induisant des attaques en force, sans nuance aucune. La conduite de cette voix manque de souplesse. Enfin, l’on retrouve avec plaisir Giuseppe Gipali, ténor parfaitement projeté, d’une increvable santé vocale, qui retient l’écoute par la clarté du timbre, l’infaillible spinto et son style infiniment cultivé.

À un Chœur vaillant répond un Orchestre de l’Opéra de Marseille en forme croissante, même sur les pizz’ ou les traits de bois. Dès l’ouverture, la direction de Fabrizio Maria Carminati souligne d’une ferme articulation l’élégance de l’interprétation, dans un soin jaloux de la dynamique. Le chef italien relève l’œuvre d’un relief dramatique tout en profitant de l’invention mélodique de Bellini.

BB