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On peine à concevoir aujourd’hui, tant la renaissance du bel canto, après-guerre, le laissa au purgatoire, que Giacomo Meyerbeer (1791-1864) fut le compositeur d’opéras le plus joué au XIXe siècle, avant même Mozart et Verdi. Ce pionnier de la mélodie continue et de la fusion des éléments nationaux triompha à Paris avec des ouvrages fondateurs du Grand opéra : Robert le Diable (1831), Les Huguenots (1836) et Le prophète (1849) [lire nos chroniques des 30 juin et 16 décembre 2017, puis du 18 octobre 2015] – le moins connu étant L’Africaine (1865), créé près d’un an après la disparition de son auteur [lire notre chronique du 11 mars 2018].

Mais avant d’aborder les livrets co-écrits par Eugène Scribe, l’Allemand né Jakob Liebmann Meyer Beer se plie d’abord à la langue de Rossi et Métastase pour trois opéras donnés sur le sol italien : Romilda e Costanza (Padoue, 1817), Semiramide riconosciuta (Turin, 1819) et Emma di Resburgo (Venise, 1819). Puis vint Margherita d’Anjou, melodramma semiserio fortement applaudi à La Scala de Milan, le 14 novembre 1820. Felice Romani en est le librettiste réputé ; sans grande conviction, il puise son sujet dans trois actes du Nancéen René-Charles Guilbert de Pixerécourt (1810) – un père du mélodrame, surnommé aussi Corneille des Boulevards. Bien sûr, cette mise en musique d’un épisode de la Guerre des Deux-Roses (1455-1485) prend des libertés avec l’Histoire, la première concernant une héroïne dont le mari, Henri VI, est encore vivant au moment des faits.

1462, à la frontière entre l’Angleterre et l’Écosse. Espionné par Carlo Belmonte, ancien général banni par la reine, le camp de Margherita d’Anjou se prépare à accueillir un duc aux nombreuses victoires militaires, Lavarenne. Mais avant lui arrivent un chirurgien français, Gamautte (rôle bouffe), et Isaura, l’épouse délaissée de Lavarenne qui se déguise en soldat pour être à ses côtés. Or, le duc est bien amoureux de Margherita, mais n’oublie pas qu’il est déjà engagé. De son côté, au service de Gloucester et à la tête d’une troupe de montagnards écossais, Belmonte œuvre pour empêcher son ennemie de remonter sur le trône d’Angleterre. Pourtant, à la surprise générale, il l’aide à se cacher quand, égarée dans la forêt, elle apparaît avec son jeune fils. Gloucester mis hors d’état de nuire, les deux femmes vont chacune goûter une lieto fine à leur aventure.

En juillet 2017, le Festival della Valle d’Itria (Martina Franca) présente cet ouvrage mis en scène de façon fort efficace par Alessandro Talevi [lire notre critique du DVD Roberto Devereux]. Sur une scène plus large que profonde – dont les pièges deviennent des atouts –, l’artiste invite à la préparation du spectacle en cours, grâce à un régisseur cerné de portants de costumes, puis brosse un univers actuel, un rien épicé (drogue, égoportraits et figures altersexuelles). Deux mondes s’affrontent avec clarté : celui du pouvoir, avec défilé de mode et retraite hydrothérapique, et celui des rebelles, puisant largement dans l’esthétique punk (tartan et crète iroquoise). Madeleine Boyd se charge des vêtures et décors, Riccardo Olivier de chorégraphies dispensables mais discrètes.

Deux femmes retiennent d’abord l’attention, dans une distribution largement masculine : Gaia Petrone (Isaura), avec une belle pâte grave [lire notre chronique du 26 février 2017], et Giulia De Blasis (Margherita), au soprano léger, facile et clair [lire notre chronique du 6 novembre 2015]. Au début de l’Acte II, cette dernière montrera son aisance à s’attendrir (Dolci alberghi di pace) comme à se révolter, avec d’agiles virtuosités (Che mai giova). Malgré quelques approximations, Anton Rositskiy (Lavarenne) impose son ténor tonique et nuancé [lire notre chronique du 25 janvier 2018]. Dans la même tessiture, Lorenzo Izzo (Bellapunta) apparaît sûr et caressant. Marco Filippo Romano (Gamautte) offre un baryton sonore et fiable. Les deux basses sont Laurence Meikle (Belmonte), omniprésent, qui gagne en éclat et couleur au cours du spectacle, et Bastian Thomas Kohl (Gloucester), moins projeté que ses camarades.

Plus qu’Elena Tereshchenko (Gertrude), Dielli Hoxha (Omer) et Massimiliano Guerrieri (Officier), relégués à des rôles bien secondaires, le Coro del Teatro Municipale di Piacenza impressionne ; surtout les hommes, très sollicités dans un contexte guerrier, qui alternent avec talent vaillance et tendresse. Enfin, félicitons Fabio Luisi, à la tête de l’Orchestra Internazionale d’Italia. Délaissant ses activités quotidiennes à New York et à Zurich, le Génois livre une Ouverture d’une vive rondeur, ciselant ensuite ce matériau initial pour rendre justice à l’art retrouvé de Meyerbeer.

LB