Chroniques

par laurent bergnach

La Resurrezione | La Résurrection
oratorio de Georg Friedrich Händel

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 30 avril 2012
La Resurrezione, oratorio de Georg Friedrich Händel
© opéra national de paris | mirco magliocca

« Le christianisme et la musique, écrit Wagner en novembre 1869, sont les deux grandes richesses qui ont été apportées au monde depuis la décadence des cultures antiques » – de même qu’il vante ailleurs « l’âme de la religion chrétienne, une âme qui pleure, qui parle et qui chante » (Religion et art) et encense « ce qui nous semble admirable de vérité chez Bach et Händel », c'est-à-dire de s’être exprimé pour le peuple en ayant su saisir la chaleur de la vie, « simplement comme elle est » (Premiers écrits sur l’opéra. L’opéra allemand).

Avec son livret signé Carlo Sigismondo Capece, La Resurrezione HWV 47 ramène l’auditeur à une époque où le natif et ancien organiste de Halle n’est pas encore londonien – il s’installe dans la capitale anglaise en 1710, à l’âge de vingt-cinq ans, et y compose trente-trois de ses trente-neuf opéras, jusqu'à sa mort, survenue en 1759 – puisque l’œuvre en deux parties est créée le dimanche de Pâques 1708, au Palais du marquis Ruspoli, dans cette Rome qui le fait approcher Corelli et les deux Scarlatti. Après Passion nach dem Evangelisten Johannes (1704), c’est son deuxième essai dans un genre auquel il reviendra vers la fin de sa vie – soit avec Messiah (1742), Samson (1743), Semele (1743) [lire notre critique du DVD], etc., tous composés après son dernier ouvrage lyrique, Deidamia (1741) [lire notre chronique du 11 juin 2003].

Accompagnée de la scénographe Oria Puppo, Lilo Baur met en scène la deuxième nuit suivant la Crucifixion et le lendemain matin, au moment où le Christ est supposé descendre aux Enfers afin de sauver les âmes des patriarches et des prophètes qui avaient préparé sa venue. Sur la scène transformée en désert de sable, avec un point d’eau cerné d’arbrisseau et d’herbes desséchés, Angelo polémique avec Lucifero tandis que Maddalena, Cleofe et San Giovanni passent des pleurs à l’espoir, puis à la certitude de revoir Gesu parmi eux. Chacun semble ne tendre que vers une action unique en dehors de faire vivre un personnage théâtral : croquer une pomme, grimper sur une pierre, se rafraîchir au bassin ou replier le suaire. « Avec Peter Brook, explique la comédienne suisse, j’ai appris à fuir l’artifice et le cliché, à raconter une histoire avec les moyens les plus simples, de la façon la plus pure qui soit : être là. » À l’inverse de l’hommage décevant à Debussy le mois dernier [lire notre chronique du 1er mars 2012], l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris offre un spectacle abouti et envoûtant, prenant appui sur ses jeunes chanteurs qui gagnent en solidité à mesure que se poursuit leur formation.

D’entrée de jeu, Maria Virginia Savastano (Angelo) offre largeur, rondeur et surtout fluidité à des vocalises redoutables. Sebastien Pass (Lucifero) puise dans un registre plus grave que de coutume, sans se déshonorer, porteur d’un charisme que n’induisent pas toujours ses rôles précédents de gentil garçon. Soprano conciliant chair, brillance et légèreté, Andreea Soare (Maddalena), peut-être plus lisse que ses camarades par moment, fait partie de ses artistes que l’on entend même quand elle tourne le dos ; sa puissance vocale laisse présager des rôles auxquels elle peut légitiment prétendre. De même, Cornelia Oncioiu (Cleofe) est une perle sombre et profonde, dans la catégorie mezzo – entendue notamment dans Da gelo a gelo [lire notre chronique du 23 mai 2007]. Enfin, Cyrille Dubois (San Giovanni, en alternance avec João Pedro Cabral, jusqu’au 6 mai prochain) est un ténor stable et précis, qui nous paraît toujours fragile à tort [lire notre chronique du 18 décembre 2010]. Son Caro figlio est un sommet de tendresse nuancée.

Ce soir, une partie des gradins est réservée à l’orchestre, soit un peu moins d’une vingtaine d’étudiants du département de musique ancienne du CNSM de Paris. En familier de la baguette depuis cinq ans maintenant, Paul Agnew le rejoint – interpellé tout d’abord par une spectatrice mécontente que l’intérêt suscité par le spectacle oblige les organisateurs à rapporter chaises et cousins pour les personnes restées debout, applaudie par quelques-uns, mais (période électorale oblige ?) sommée de se taire par une majorité peu solidaire… Pleine de couleurs, la présente lecture de cet habitué du répertoire baroque passe de la douceur plaintive à la jubilation héroïque, laissant une place privilégiée à la délicatesse.

LB