Chroniques

par laurent bergnach

Le Diable dans le beffroi – La chute de la maison Usher
spectacle de Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 1er mars 2012
L'Atelier Lyrique présente deux opéras inachevés de Claude Debussy
© elisa haberer | opéra national de paris

Outre une brièveté qui ajoute à l’intensité de l’effet, « l’auteur d’une nouvelle a à sa disposition une multitude de tons, de nuances de langage, le ton raisonneur, le sarcastique, l’humoristique, que répudie la poésie, et qui sont comme des dissonances, des outrages à l’idée de beauté pure ». Ces mots de Charles Baudelaire, on les trouve à leur juste place dans Notes nouvelles sur Edgar Poe, quelques pages d’introduction à un écrivain boudé par ses compatriotes américains durant sa courte existence (1809-1849) et que le poète-traducteur contribue à faire connaître en France. Avec son anticonformisme et son humour ravageur dont Monsieur Croche garde le souvenir vivace, Debussy ne pouvait que s’intéresser à l’univers de Poe, distillant tout autant la farce que le morbide. Et puis, cet amour interdit pour une sœur n'évoque-t-il pas celui de Mélisande pour son beau-frère ?

En août 1908, l’annonce d’un projet inspiré par deux nouvelles de l’auteur à l’âme inquiète est l’occasion d’une information essentielle : « Je ne choisirai pas la forme de l’opéra car je ne veux rien écrire qui de près ou de loin rappelle Pelléas. […] Je n’entends pas plus me répéter que je ne songe à copier ceux qui m’ont précédé ». Les semaines passent et, après avoir accueilli Harper’s weekly, Debussy donne à The Americain des précisions sur les travaux en cours : « Le premier est un arrangement en un acte de La Chute de la maison Usher ; l’autre, qui sera en deux parties reliées par un intermède, m’a été suggéré par Le diable dans le beffroi. J’espère avoir achevé ses deux œuvres au début de 1910 ».

Malheureusement, à la mort de Debussy une décennie plus tard, il n’existe que des esquisses des ouvrages annoncés – lesquels, par un accord passé avec l’éditeur, ne devaient jamais être joués séparément. Conçu à partir de celles-ci, le présent spectacle se veut une évocation poétique du musicien et de l’écrivain, qui débute avec The snow is dancing (1908) qu’un piano un peu sec mais idéalement crispant délivre sous les doigts de Jeff Cohen, tandis que l’on projette sur un drap tendu des images d’enfants lisant Poe, d’une mièvrerie absolue qui prépare à la déception finale.

Avec ses quelques thèmes musicaux associés au Malin, au beffroi et aux maisons du bourg de Vondervotteimittiss, Le Diable dans le beffroi est le moins développé des deux projets. Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil y mettent en scène Alexandre Pavloff, narrateur que l’on retrouvera auprès de Roderick Usher dans la fin d’un diptyque volontairement contrasté afin de mieux plaire au public de son commanditaire (Metropolitan Opera de New York). Entre ton professoral et hystérie, le sociétaire de la Comédie-Française s’amuse autant qu’il nous lasse.

En fond de scène, le drap laisse place à une large bibliothèque ajourée, emplie de lumière électrique. Devant celle-ci, l’ami-narrateur et Sébastien Pass, son double au chant soigné et d’une pâte généreuse, rencontrent tout d’abord Alexandre Duhamel, médecin sonore au baryton assez commun et sans chair – Atelier Lyrique oblige, ces deux artistes se firent face dans Les Troqueurs [lire notre chronique du 28 novembre 2009]. Incarnant Pelléas il y a deux ans, Phillip Addis revient au rôle d’Usher qu’il a déjà interprété. Sa diction et sa stabilité font merveille, de même qu’une projection efficace. Quant à Valérie Condoluci dont nous avions gardé un bon souvenir dans le contemporain John Merrick [lire notre critique du DVD], elle séduit ici par un timbre délicieux et des aigus agiles.

Aux cinquante minutes d’une musique soutenue par un pianiste nuancé, qui possède peu d’indications d’origine pour avancer, s’ajoutent Des pas dans la neige (1909) ainsi que quatre mélodies, formant des ponts entre des ilots de dialogues écrits par Debussy lui-même : Beau soir (1880), Le son du cor s’afflige (1901), La Chevelure (1909) et Colloque sentimental (1904). Trop connues, ces béquilles brisent définitivement le peu d’intérêt que l’on trouve au spectacle puisqu’elles en mettent en relief le collage peu réussi. Assumé grâce à des extinctions de projecteurs, le côté fragmentaire aurait peut-être ému le spectateur, à la façon de ces chefs qui posent la baguette pour signaler l’inachèvement d’une partition.

LB