Chroniques

par irma foletti

La Cenerentola ossia La bontà in trionfo
Cendrillon ou La bonté triomphante

opéra de Gioachino Rossini
Oper, Francfort
- 10 mars 2018
Keith Warner met en scène La Cenerentola (Rossini) à l'Opéra de Francfort
© barbara aumüller

Cette Cenerentola proposée par l'Opéra de Francfort constitue une typique soirée de répertoire au cours d'une saison allemande, défendue par les chanteurs « en troupe » de la maison. La distribution vocale est plus qu'honnête, mais sans véritable étoile, même si certains solistes se hissent au-dessus du niveau médian. Ce qu'on remarque d'entrée est l'acoustique plutôt défavorable aux voix, alors que le son de l'orchestre a tendance à dominer.

Dans ces conditions, le joli timbre de Julia Dawson dans le rôle-titre n'est pas toujours mis en valeur ; elle compose donc une Cenerentola de petit format. Sans posséder les graves naturels de la belle Angelina, elle poitrine souvent ou transpose parfois dans les ensembles, mais le rondo final reste toutefois très digne, y compris dans sa vitesse d'exécution. Le ténor Martin Mitterrutzner (Don Ramiro) est le plus rossinien de l'équipe, très souple dans ses vocalises et virtuose sur toute la tessiture, de ses graves nourris jusqu'aux suraigus [lire notre chronique du 19 février 2017]. Il se permet même de petites variations fort bienvenues dans la reprise de son grand air Si, ritrovarla io giuro. Mikheil Kiria chante un Don Magnifico sonore, bien projeté, mais imprécis du point de vue du rythme, plusieurs fois en avance sur ses attaques. Youri Samoïlov (Dandini) est également puissant [lire nos chroniques du 17 février du 16 août 2017], joliment timbré mais manque un peu de grave ; c'est surtout sa technique rossinienne qui n'est pas assez huilée. Les aigus de Thomas Faulkner (Alidoro) sont douloureux aux oreilles [lire nos chroniques de Serse, Le cantatrici villane et Une vie pour le tsar], alors que Louise Adler et Anna-Katharina Tonauer tiennent correctement les rôles secondaires (Clorinda et Tisbe).

Le chef Vlad Iftinca assure une direction de correcte qualité technique, mais ne parvient pas à insuffler un vent de folie, le tempo se traînant par endroits. C’est plus encore le Chœur qui fait aveu de faiblesses, particulièrement quant au respect du rythme.

En ce qui concerne l'aspect visuel, la production de Keith Warner utilise certaines bonnes idées, mais l'accumulation de gags faciles tourne rapidement au lourdingue, à la limite du supportable [sur l’artiste,lire nos chroniques des 5 et 30 mars 2013, ainsi que des 14 janvier et 28 juin 2017]. Cela démarre plutôt bien, avec Cenerentola dans son lit à gauche, des chaussures qui tombent des cintres et les protagonistes qui choisissent leur paire, un cadre de scène miniature sur le plateau où interviennent les marionnettes des personnages. Mais un peu plus tard, dans l'air d'entrée, Come un'ape nei giorni d'aprile, que Dandini chante en partie allongé sur le lit, le metteur en scène fait voltiger une abeille derrière lui, qui butine deux fleurs… le public est hilare. Clorinda et Tisbe montrent soudain leur tête, et c'est une nouvelle hilarité, qui va encore crescendo lorsque Dandini les caresse gentiment avec sa cravache, puis les fouette plus vigoureusement... ouarf ! Triple ouarf encore lorsqu'on retire le fauteuil sur lequel va s'asseoir Don Magnifico ou lorsque celui-ci crache par terre... Les gags se calment un peu au second acte, et le dramma giocoso reprend son comique de situation où le mieux est sans doute de ne pas surcharger. Quelques idées proposées dans la réalisation : les deux bracelets de Cenerentola qui proviennent de menottes – un message sur le mariage à venir ? –, le fauteuil géant sur lequel arrive le prince pour le final, et puis Cenerentola qui rend sa couronne comme image conclusive, comme si tout cela n'était qu'un rêve. Notons enfin qu'un des trois airs de Magnifico est coupé (Noi Don Magnifico), lorsque celui-ci, promu sommelier, goûte trente barriques de vin (c'est bien dommage pour les spectateurs très bon public de ce samedi soir), et que l'air d'Alidoro, Là del ciel nell'arcano profondo, composé par Rossini trois ans après la création de l'ouvrage, est remplacé par le beaucoup moins solennel Vasto teatro è il mondo, écrit par le compositeur Luca Agolini pour la première romaine de 1817.

IF