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Chroniques
Tannhäuser
opéra de Richard Wagner
Il arrive parfois que les metteurs en scène s’en prennent aux œuvres au service desquelles ils se trouvent engagés, jusqu’à les discréditer. Rien de grave dans ce cas : le mélomane ferme les yeux et la musique prend le dessus. Il arrive qu’un orchestre ne soit pas à jour pour rendre dignement compte de l’écriture d’un compositeur dont notre mémoire nous laissait penser qu’il était un peu pratiqué par ses pupitres. Rien de grave encore : en bon pédagogue comme en sain catalyseur le chef est là pour relever le niveau. Il arrive qu’une maison d’opéras invite un ténor qui, n’ayant pas la caractérisation du rôle-titre, perde sa santé durant les répétitions. Passons : l’auditeur trouvera bien à satisfaire son désir dans l’ensemble de la distribution réunie là.
Ce soir, le ciel nous est tombé sur la tête. Que le ténor nord-américain Scott McAllister escamote un Tannhäuser de ridicule vocalité, passons. Que la partie du Landgrave s’évanouisse dans les ahanements vénérables d’un Kristinn Sigmundsson antédiluvien, passons. Que Roger Padullés cherche désespérément sa maman dans l’espoir qu’elle soit peut-être aussi celle d’Heinrich der Schreiber, voilà qui est presque sympathique. Qu’aucune oreille – Dieu sait si les strasbourgeoises sont aiguisées, pourtant – ne perçoive le Walther de Gijs Van der Linden, que Biterolf déraille (Raimund Nolte), que Wolfram (Jochen Kupfer) minaude, certes d’un timbre séduisant (mais cela ne fait pas tout), passons encore. Oublions de même les oscillations exsangues d’Odile Hinderer (Pâtre) et, à l’inverse, le vibrato violent d’une Vénus chantant un dialecte inconnu de quelque côté du Rhin qu’on soit né (Béatrice Uria-Monzon), ou encore la sensualité presque obscène du timbre de Barbara Haveman, Elisabeth palpitante (pour ne pas écrire « en chaleur »).
D’année en année, notre Orchestre Philharmonique de Strasbourg tombe de Charybde en Scylla, grâce à la direction générale avisée de Qui-l’on-sait… Si l’ampleur des dégâts s’est à maintes reprises étalée au grand jour, il ne s’agit plus à l’heure actuelle de trouver les « chefs-miracles » dont la superbe masquera pour un temps la ruine. Faudra-t-il encore longtemps supporter de voir se dégrader nos forces musicales et ridiculiser notre légitime prétention à « faire de la musique » ? N’est-il personne en haut lieu à s’intéresser suffisamment à ces choses pour remercier définitivement celui qui n’a ici que tout détruit ? Plein de bonne volonté, le jeune Constantin Trinks fait ce qu’il peut pour sauver les meubles, mais jamais l’on n’obtiendra la densité d’un bois massif à caresser le contre-plaqué. Plus judicieux aurait été de placer cette fosse sous la battue d’un vieux dompteur, quoique… il n’y a peut-être plus rien à faire de musiciens si bouffis d’auto-complaisance qu’ils ne travaillent plus vraiment.
Il est inquiétant d’avoir à constater que l’inspiration vient à Keith Warner lorsqu’il signe une production à Bayreuth, à Londres ou à Copenhague, mais que s’il séjourne en notre belle Alsace rien d’autre ne lui vient que le tâtonnement diarrhéique de son Simon Boccanegra (2010) et les atermoiements honteux du Tannhäuser « croquignolesque » subi ce soir. Faut-il en conjecturer que l’esprit de ce théâtre n’est guère plus fécond ? Bordel pontifical : ainsi se trouve avantageusement résumée la chose, en deux mots plutôt que de s’appesantir à tirer sur une ambulance ou plus modestement à jeter ses escarpins à la tête des gens. Quant au décor et aux costumes ? Pardon d’avance à messieurs Kudlicka et Glarner mais, comme les Québécois savent le dire sans rougir, « c’est moche ».
Qu’en reste-t-il dans cet après-demain de la signataire du billet ? Le souvenir de la prestation honorable du Chœur de l’Opéra national du Rhin (dirigé par Michel Capperon) et une voix (une seule) : celle du Vosgien Ugo Rabec qui magnifie les quelques notes dévolues à Reinmar von Zweter. Ce n’est peut-être pas beaucoup, oui, mais c’est mieux que rien – sans doute la facture de cette plaisanterie s’élève-t-elle à bien autre chose que « rien » : il appartient à Qui-l’on-sait-aussi (de compétence égale au premier du genre) de dilapider l’argent du contribuable comme il l’entend (à écouter les voix qu’il a choisies, frémissons).
KO