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Chroniques
L’Odyssée
opéra de Jules Matton
Il est diverses manières d’amener le public à l’opéra. Certains croient utile d’amener leur quotidien sur la scène pour favoriser une identification qui semble être la colonne vertébrale des communautarismes culturels. Ce n’est pas le pari de l’Opéra de Rennes qui fait éclore, avec un délai lié à la crise sanitaire, la commande faite à Jules Matton par le Théâtre de Compiègne où elle fut présentée en 2018 – avant d’attendre le lendemain de la pandémie pour tourner. L’opéra de chambre L’Odyssée relit le second volet de l’épopée homérique à travers les yeux de Télémaque qui a, à peu près, l’âge des enfants participant au spectacle. En retraçant l’initiation d’un garçon qui se croit orphelin, l’adaptation dramatique de Marion Aubert revisite un grand classique à hauteur d’adolescent, sans trahir le texte. Les émotions contemporaines et celles de l’Antiquité sont parentes : c’est l’un des enjeux de tout projet pédagogique que de favoriser cette assimilation de la Légende et de la continuité de l’aventure humaine, au delà de l’enfermement dans l’actuel.
Ce travail avec la littérature rejoint celui, musical, du compositeur. Matton s’appuie sur un l’une des formes jugées les moins grand public, le quatuor à cordes. À l’évidence, la partition ne saurait s’évaluer à l’aune des critères usuels de la création contemporaine. Assumé avec une homogénéité et une douceur dynamique appréciables par le Quatuor Debussy, le tissu chambriste fonctionne comme un canevas d’allure modale pour la narration chantée, d’une facture aérée et propice à un travail choral à la fois expressif et propédeutique.
Rassemblant les effectifs, relativement aguerris, de la Maîtrise de Bretagne, préparés par Maud Hamon-Loisance, et ceux des enfants du Collège Clotilde Vautier, établissement en zone prioritaire à Rennes, le chœur incarne les enfants de guerriers et marins (comme Télémaque) et se font l’écho des différents figures de l’adversité dans le retour au pays, dans une catharsis que rejoint celle d’un dispositif qui, au milieu d’une pratique professionnelle, sensibilise et amène un nouveau public, en un vertueux prosélytisme jusque dans les familles.
Figures de la nouvelle génération, les trois solistes se distinguent par un engagement remarquable, à commencer par le Télémaque clair et frémissant de sentiments de Fabien Hyon [lire nos chroniques d’Iliade l’amour, Kamchatka et Stratonice]. Jeanne Crousaud fait chatoyer une déclamation vive et fruitée en Athéna, Circé et Pénélope [lire nos chroniques du Pré aux clercs, de La sirène et Hamlet], tandis que Laurent Deleuil fait respirer pour Ulysse les nuances expressives d’un baryton délié [lire nos chroniques du Messie du peuple chauve, de Werther et Peter Grimes, ainsi que notre critique du CD Le travail du peintre].
Le spectacle réalisé par David Guichard s’appuie sur une scénographie à main d’enfant, conçue par Fabien Teigné [lire nos chroniques de Royal Palace, Fando et Lis et La damnation de Faust]. Le dessin et les couleurs, à l’exemple du cheval, sont habillés par les éléments numériques de David Moreau et les lumières de Christophe Chaupin, avec une certaine simplicité (sinon naïveté) poétique, sans appauvrir pour autant l’imaginaire – on pense aux scintillations nocturnes dans le corps de l’équidé de carton-pâte. Stéphanie Chêne apporte un complément chorégraphique à la mobilité des ensembles et aux ondulations de tissus, symbole évident de la mer, participant d’une certaine tendresse inspirée au fil de cette Odyssée, création aux dimensions participatives dont les vertus pédagogiques ne sacrifient pas l’authenticité de l’investissement artistique.
GC