Chroniques

par gilles charlassier

Internationales Mahler Festival Leipzig
concert 8 | Tonhalle Orchester Zürich, David Zinman

Gewandhaus, Leipzig
- 24 mai 2011
Gert Mothes photographie la cloche de l'Orchestre de la Tonhalle de Zurich
© gert mothes

La Symphonie en la mineur n°6 peut sembler un creuset de paradoxes. Composée pendant l’une des périodes les plus heureuses de la vie du compositeur, elle est son œuvre la plus désespérée, et en même temps celle dont la facture se montre la plus proche des canons du genre – ne seraient ses dimensions imposantes. En quatre mouvements, elle suit l’ordonnancement consacré : allegro, andante, scherzo, allegro. Ce que l’on pourrait considérer comme une allégeance à la forme consacrée par la tradition se tient en fait dans la lignée de l’inflexion stylistique opérée avec la Symphonie n°5 [lire notre chronique du 23 mai 2011].

Dès l’Allegro energico, le tempo de la marche se fait pesant, voire lourd. Pourtant le mouvement est joué avec une certaine distance. On regrettera l’absence d’emphase et de débordement de subjectivité familiers à un chef tel Daniele Gatti. L’ampleur et la robustesse du geste ne malmènent ni la partition, ni les tripes.

Le compositeur a longtemps hésité quant à l’ordre des deuxième et troisième mouvements. L’option consistant à jouer d’abord le scherzo permet de souligner à la fois la continuité thématique avec l’allegro initial et l’atmosphère presque bucolique de la halte apaisante de l’andante avant l’assaut final. On privilégie ainsi la logique dramatique. Le choix adverse met en évidence le classicisme formel de la composition. À l’inverse de Gatti [lire notre chronique du 13 janvier 2011], c’est en toute cohérence l’ordonnancement adopté. L’Andante moderato rappelle ainsi la pastorale sérénité de la Neuvième Symphonie de Dvořák. Les échos de la montagne environnant le compositeur, distillés par les cloches, apportent ici une touche pittoresque. La lecture proposée ne s’appesantit guère sur la parenté avec l’inspiration nocturne des Lieder écrit sur les poèmes de Rückert ; le pathos mahlérien n’y retrouverait pas ses brebis.

La vigueur du Scherzo, Wuchtig (massif), emprunte son énergie à la même source, la tradition plutôt que la biographie de Mahler, avec un tempo et une tension modérés et maîtrisés tout du long. C’est dans leFinale, Allegro moderato, toujours favorable aux baguettes, que la lecture de David Zinman, aux indéniables qualités d’équilibre, livre le meilleur d’elle-même. Les progrès de la lutte soulignent le poids du Destin. Le sort du héros fait rapidement peu de doute. Les fameux coups de marteau écrasent toute résistance, selon l’intention de Mahler lui-même. La correction opérée par celui-ci est parfaitement comprise par le chef américain. L’allure moribonde de la Coda dit déjà l’issue du combat, et le fracas final n’a nul besoin du marteau pour conclure. L’intelligence harmonique du passage ne fait aucun doute, et l’efficacité sur l’auditoire est réelle. On peut réussir à l’impressionner sans entrer dans le jeu de la sensibilité exacerbée de l’univers mahlérien, même si l’on ne peut s’empêcher d’en éprouver une secrète nostalgie à l’issue de cette performance solide mais émotionnellement peu concernée.

GC