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Chroniques
Galina Oustvolskaïa | Compositions 1, 2 et 3 (1970-1975)
Heinrich Schütz | Musikalische Exequien SWV 279-281 (1636)
Nouvelle plongée dans la musique de Galina Oustvolskaïa, ce soir, avec ce quatrième rendez-vous de la série Zeit mit Ustwolskaja proposée par la Salzburger Festspiele dans le cadre de son Ouverture spirituelle. Selon le principe de nombre de ces concerts, les répertoires se mêlent à travers les siècles. Ainsi les trois opus de la compositrice russe que nous entendons aujourd’hui, conçus entre 1970 et 1975, sont-ils précédés de Musikalische Exequien de Schütz, musique funèbre en trois parties, écrite en vue des funérailles du prince Heinrich II von Reuß-Gera, son commanditaire, et créée le 4 février 1636 lors de la cérémonie qui suivit son décès, deux mois plus tôt. Près de trois siècles et demi séparent donc ce que les artistes de Collegium Vocale Gent, sous la battue de Philippe Herreweghe, et ceux de Klangforum Wien, dirigés par Ilan Volkov, interprètent de part et d’autre de l’entracte.
Les trois Compositions d’Oustvolskaïa, dont le titre induit un désir de neutralité antiprogrammatique, à la manière des sans titre dont font usage les plasticiens, ont en commun une importante partie de piano, ici tenue par Marino Formenti [lire nos chroniques du 22 octobre 2017 et du 4 juin 2005]. Citant la musicienne, le musicologue Paul Griffiths publie, dans la brochure de salle : « mes œuvres sont imprégnées d'un esprit religieux et les donner dans une église est, selon moi, le mieux adapté. Dans une salle de concert, qui est un environnement profane, la musique paraît autre ». Sous la voûte de la Kollegienkirche où nous entendions avant-hier la Symphonie n°5 [lire notre chronique du 21 juillet 2018], retentit le violent contraste entre le surgrave du tuba, vrombissant, et la criarde virevolte aiguë du piccolo.
L’impact de chaque couleur est très fort dans cette acoustique particulière. À la déambulation apocalyptique d’un tuba hargneux répond un contrepoint nerveux et bref du piccolo. Au piano d’alors faire une entrée fracassante, d’abord par clusters vigoureux, puis sur une ligne qui semble plus structurée. L’originalité de l’instrumentation favorise une vaste distance entre chaque timbre, élevant bientôt une sorte de cérémonie scandée, une nouvelle fois, comme c’est souvent le cas dans la facture tardive d’Oustvolskaïa. Une pédalisation généreuse du piano surenchérit la réverbération, sans pour autant que les lignes s’en trouvent indiscernables. Une écoute qui s’attacherait trop à ses notions passerait cependant à côté de la puissante aura de Composition 1 « Dona nobis pacem » (1970-71, créé à Leningrad le 19 février 1975). Dans le mouvement médian les appels doux du tuba, comme des incantations, ponctués par les déflagrations du clavier, se concentrent dans une mélopée radicalement intériorisée. Bientôt des plaintes violonistiques du piccolo se sédimentent sur le squelette de ce matériau. Enchaîné, le troisième épisode décline un signal éthéré du piano, carillon ralenti jusqu’à l’hésitation, invitant à la quiétude méditative – nous parlions hier de d’un minimalisme russe…
Alors que les trois officiants jouaient sans être dirigés, les dix que convoque Composition 2 « Dies irae » (1972-73, créé à Leningrad le 14 décembre 1977) bénéficient ensuite de la battue précise d’Ilan Volkov [lire nos chroniques du 20 octobre 2017, du 23 novembre 2010 et du 29 novembre 2006, ainsi que notre critique de l’enregistrement Roslavets auquel notre équipe décernait une Anaclase! il y a quelques années]. À l’instar des Sonates n°3 et n°5, cette page s’articule en dix sections brèves [lire notre chronique de la veille]. Un piano relativement sobre commence, rejoint par huit contrebasses qui impose un relief étrange. Le martèlement obstiné d’une pièce de bois par des maillets à la vaillance redoutable inscrit ce Dies irae dans la lignée des opus scandés jusqu’à la fièvre. Le piano est également utilisé de manière percussive et même les contrebasses entreront dans ce sévère rituel, très brutal – c’est un peu comme se trouver en haut d’un campanile au moment où tous les tympans frappent sans merci les parois d’airain. Ces moments furieux, majoritaires, sont aérés par des suspensions caressantes qui auront le dernier geste.
Pourquoi une artiste russe, héritière de la tradition orthodoxe mais élevée dans les années dures d’un régime stalinien farouchement athée – de même que le national-socialisme, le système soviétique admettait pour seul culte celui qu’il exigeait qu’on lui vouât – a-t-elle accompagné ces trois partitions de titres qui empruntent à la liturgie catholique ? Quelle sont les relations entre ces titres et le contenu musical ?... À chacun de trouver sa propre route. Après l’imploration de la paix, puis la colère de la mort, Composition 3 (1974-75, créé en même temps que Composition 2) conclut le triptyque par « Benedictus, qui venit » (Béni, celui qui survient). Pour transmettre une tendresse consolatrice, bien qu’austère, quatre flûtes et quatre bassons se joignent au piano. La répétition est de mise, obsédante, magnifiant le frottement des timbres dans la régularité du tactus – aucun changement de vitesse, d’ailleurs durant les sept minutes de ce volet (le plus court : les deux autres approchent les dix-huit). Oublié, également, le vertige entre des registres qui caractérise Compositions 1 et 2.
Cette féconde Ouverture spirituelle explore le sacré, avoué ou tu, qu’il s’agisse des Sonates du Rosaire de Biber (Salzbourgeois d’adoption), de la Symphonie n°2 de Mahler ou d’autres monuments signés Liszt, Victoria et Bach, bien sûr. En première partie de ce concert, Philippe Herreweghe donne une lecture lumineuse et généreusement lyrique de Musikalische Exequien d’Heinrich Schütz, à la tête de son Collegium Vocale Gent
BB