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Chroniques
une heure avec Olga Neuwirth
Locus…doublure…solus – Hommage à Klaus Nomi
Pour cette huitième édition d'Agora, Franck Madlener, nouveau directeur artistique de l'Ircam, a souhaité une soirée « bousculée par des artistes abrupts, singuliers, inconciliables ». La nuit la plus longue offrait l'occasion d'entendre trois formations à la personnalité marquée soit, dès 18h30, le Quatuor Arditti dans des créations françaises de Philipp Maintz et Hanspeter Kyburz, suivi de l'Ensemble Intercontemporain, à 20h30, avec des œuvres de George Benjamin (Antara, Three Inventions for Chamber Orchestra) et Unsuk Chin (Cantatrix Sopranica), pour conclure avec Emilio Pomarico dirigeant le Klangforum Wien, à 22h30.
On aura beaucoup entendu Olga Neuwirth dans les lieux de création musicale cette saison, que ce soit à Musica (plusieurs œuvres solos ou pour orchestre dont la première mondiale de Lost Highway suite), dans le cadre du Festival d'Automne à Paris (…Ce qui arrive…, d'après l'œuvre de Paul Auster), ou à Ars Musica. Ce soir, l'heure qui lui est consacrée débute avec Locus…doublure…solus, pièce pour piano, ensemble et électronique, créée en 2001. Si le titre se réfère à une nouvelle écrite par Raymond Roussel en 1914, la composition s'inspire sans l'illustrer du labyrinthe verbal qui en fait l'intérêt. Ce semblant de concerto comporte sept parties, dont chacune présente une technique de jeu et de figure spécifique, et dont l'ordre des cinq centrales peut être bouleversé par les interprètes. Neuwirth nous propose de riches vagabondages, à travers des ambiances de cordes souvent tendues, de vents écorchées avec, comme des sentiers balisant cette exploration, la récurrence d'accords initiaux et de descentes chromatiques. Marino Formenti, habitué à travailler avec des compositeurs (Lachenmann, Kurtág, Bussotti), tenait la partie piano avec beaucoup d'énergie et de nuance.
Pour la seconde œuvre au programme, rien d'étonnant à voir installer sur scène deux synthétiseurs, des percussions et une guitare électrique : son titre, Hommage à Klaus Nomi (1998), nous y préparait. L'artiste en question, né Klaus Sperber dans les Alpes Bavaroise au milieu des années quarante, installé plus tard à Berlin, mort des suites du sida à New-York en août 1983, est ce qu'il convient d'appeler un ovni musical. Alors que la new wave détrônait le punk moribond dans les milieux populaires, Klaus Nomi parvint à faire immerger – à défaut de l'imposer – son style visuel hors norme (haute couture Bauhaus ?), une musique originale (patchwork de pop synthétique, cabaret allemand et opéra), mais surtout une voix annonçant le grand retour des contreténors. Ses deux albums studio (1981 et 1982), outre des compositions originales, font une large place aux reprises de Saint-Saëns ou Purcell, dont les célèbres Cold Song, Wayward Sisters et Death. On retrouve ce dernier chant parmi trois autres présentés ce soir, retitrés et réarrangés par Olga Neuwirth : So simple – d'après la chanson Simple Man de Kristian Hoffman –, évoquant des fêtes de la bière nauséeuses, Can't help it – d'après Falling in Love Again, standard immortalisé par Marlène Dietrich – et The Witch, nous renvoyant à la joie du Pays d'Oz débarrassé de sa vilaine sorcière. Très à l'aise vocalement, avec quelques dandinements mesurés, le contreténor Andrew Watts – entendu récemment dans Monteverdi [lire notre chronique du 30 avril 2005] – s'amuse visiblement dans ce récital inhabituel. Quand à Neuwirth, il faut la féliciter d'avoir donner de la chair aux musiques souvent squelettiques de ce clown naïf, « venu de l'espace pour sauver la race humaine »…
En sortant du Centre Pompidou, on restait dans l'univers d'Olga Neuwirth en assistant, en plein air, à une projection sur les murs de l'Ircam. …Le temps désenchanté… ou dialogue aux enfers utilise des images du film Paris qui dort (1923), remplacées peu à peu par celle de la ville aujourd'hui. Aux mouvements et arrêts répondent l'apparition et la disparition d'événements électroacoustiques, conçus avec l'aide informatique de Romain Kronenberg.
LB