Chroniques

par laurent bergnach

Ensemble Aleph
œuvres de Carter, Cavanna, Maldonado et Zimmermann

Théâtre Dunois, Paris
- 7 décembre 2013
L'Ensemble Aleph joue Javier Torres Maldonado
© dr

Avec près de trois cents créations à son actif, l’Ensemble Aleph – qui fête cette année ses trente ans – s’est imposé comme un des relais majeurs de l’innovation musicale, toujours en étroite relation avec les compositeurs et plus particulièrement les plus jeunes d’entre eux. Ainsi, rappelons la mise en place d’un forum international qui, tous les deux ans depuis 2000, permet aux moins de quarante ans « de toutes nationalités et de toutes esthétiques, de se rencontrer, de débattre de leur esthétique, de leur situation en tant que créateur, de faire circuler leur œuvre [et] de relier la jeune génération de la création musicale internationale a des compositeurs reconnus et servant de référence dans ce domaine ». Ce soir comme souvent [lire notre chronique du 2 juin 2006], Aleph prouve que la diversité n’est pas pour lui un vain mot.

Après des études de composition au Mexique auprès de José Suárez, Javier Torres Maldonado (né en 1968) [photo] suit les cours de Donatoni à Milan, puis, une fois diplômé, ceux de Fedele (Strasbourg) et Corghi (Rome). Il est aujourd’hui le directeur artistique du Dynamis Ensemble et l’auteur d’une soixantaine d’opus parmi lesquelles Desde el instante (Dès l’instant, 2002), trois pièces au caractère contrasté et à la gestualité simple qui s’enchaînent, « nés d’une intention de parvenir à geler la figuralité caractérisant l’objet sonore de base en instants individuels […] ». Le clarinettiste Dominique Clément en assure une diffusion de qualité, en prélude à En Ré-gina (2013) de Bernard Cavanna (né en 1951), transcription d’Étude en ré pour un violon et un piano (2008), ici remplacé par des percussions. Tandis que Noëmi Schindler joue d’un archet « dans un continuo quasi obsessionnel » (une référence à la célèbre Chaconne de Bach), Claire Talibart use des instruments à sa portée (boo-bams, petits gongs, cloches-tubes, etc.) avec une même virtuosité. Venant féliciter des interprètes très applaudis, le créateur et directeur du Conservatoire de Gennevilliers confie que cet hommage à son ancienne collaboratrice Regina Oziel se voulait « très énergique, très percussif, pour décrire une personne qu’il ne fallait pas emmerder ! ».

Pendant qu’on libère le plateau, Maldonado apprend au public qu’Hemisferios artificiales (2002) appartient à une période [ses études alsaciennes, ndr] où il souhaitait réduire les éléments utilisés pour parvenir à une expression essentielle. L’ensemble divisé en flûte, violon, violoncelle et piano d’une part, clarinette et percussion d’autre part, offre près de dix minutes d’un travail sur le son (attaque, résonnance, extinction, pulvérisation), le timbre (aigu des piccolo, clarinette et métallophone) et le tempo. On retrouvera un instrumentarium identique en fin de programme, dans une œuvre deux fois plus longue d’Elliott Carter : le Trio Duo (1983) – qui a décidemment l’affection des ensembles en ce moment [lire notre chronique du 27 septembre 2012] –, lui aussi dirigé par Michel Pozmanter.

Puisqu’Hymnos (1967) de Peter Maxwell Davies ne peut résonner ce soir du fait d’un pianiste souffrant, et que Chaconne (1975) d’Heinz Holliger a disparu de l’affiche finale, la Sonate (1960) de Bernd Alois Zimmerman s’avère donc l’ultime pièce entendue ce soir. Écrite à l’attention de Siegfried Palm, cette pièce offre un violoncelle multi-facettes, tour à tour lyrique, inquiet, ludique ou même « électrique » – dommage qu’une grotesque et scandaleuse sonnerie de portable en ait gâché la dernière minute... « Mélange typiquement rhénan de moine et Dionysos » à la jeunesse volée par le Reich millénariste – comme il se présentait lui-même –, le père de Die Soldaten [lire nos chroniques du 4 octobre 2013 et du 20 août 2012] eut le compositeur et théoricien René Leibowitz comme professeur à Darmstadt (1949-1950), dont Christophe Roy annonce qu’il fera l’objet de concerts en janvier et février prochains. L’initiative est bienvenue, car où entendre jouer ses Trio Albeneri Op.20, Marijuana Op.54, Chanson Dada Op.76B, etc. ?

LB