Chroniques

par laurent bergnach

clôture de saison pour Aleph
Bernard, Clément, Globokar, Schönberg et Sciarrino

Théâtre Dunois, Paris
- 2 juin 2006

Pour clore sa saison, le temps d’un week-end, l’Ensemble Aleph a préparé trois rendez-vous. Le premier débute ce soir avec Tchernoziom (2005) de Marie-Hélène Bernard. Après une courte série de notes tenues, dans leur langue respective, Monica Jordan et Shi Kelong s’installent à l’avant-scène pour chanter des vers du poète et peintre Ma Desheng, offrant un regard ironique et désenchanté sur l’évolution et l’état de la planète – Tous les présidents du monde / sont entrés sur le ring / ils ont la climatisation / dans leurs gants de boxe / dans leurs lacets le portable. Avec plus d’ampleur que sa collègue et une technique héritée de l’opéra de Pékin, l’artiste accapare l’attention. S’ajoutent à ce chant la présence discrète d’une clarinette basse et une bande son anecdotique, parcourues de bruits de tuyauteries, de gargouillis et de martèlements métalliques.

L’an passé déjà, à Agora, Garth Knox défendait l’œuvre de Salvatore Sciarrino en accompagnant les danseurs de la compagnie Olga de Soto [lire notre chronique du 8 juin 2005]. C’est avec le même plaisir et la même admiration pour l’interprète que nous écoutons aujourd’hui ces Tre notturni brillanti (1974), « tourbillon d’harmoniques, de trilles, de tremolos et de jetés », ainsi que le résume le musicologue Richard Toop.

L’altiste est ensuite rejoint par Sylvie Drouin, pour une œuvre singulière de Vinko Globokar, créée l’an passée. S’inspirant d’une nouvelle de Dino Buzzati – un homme transformé en chien docile par son amante , Métamorphoses Parallèles nous annonce par son titre les transformations que vont subir les deux musiciens en échappant à la seule maîtrise de leur instrument. Ainsi, outre jouer d’un alto plaintif, rieur ou à la manière d’une mandoline, faire vibrer une tige de métal coincée perpendiculairement aux cordes sur le manche, fouetter l’air avec l’archer ou, avec le bouton de ce dernier, choquer la mentonnière, Garth Knox doit déclencher du pied un sampler, frotter ses semelles sur un carton ondulé recouvert de sable, entraîner le tournoiement de cymbales au sol ou encore faire couiner Sophie la girafe – l’incontournable jouet pour bébé. De son côté, la pianiste passe d’un cluster introductif à des tapotements de main sous le clavier du Fazioli ou de différents maillets sur les cordes, et fait résonner klaxon, vibraslap ou lion’s roar. Une variation parlée des deux musiciens sur
« Mon petit écureuil à moi » révèle définitivement l’aspect ludique du morceau.

Après l’entracte, nous retrouvons le compositeur et la clarinette basse de Dominique Clément pour Voix instrumentalisée (1975), extrait de Laboratorium pour dix musiciens. Le tube de la clarinette y sert de résonateur autant que de modulateur entre la voix de l’instrumentiste et le son de l’instrument. Soufflements, chuchotements, chantonnements forment un halo vrombissant qu’on pourrait croire sonorisé.

Après un Trio à cordes de Schönberg alternant nervosité, délicatesse et lyrisme, deux de ses interprètes, Noëmie Schindler au violon et Christophe Roy au violoncelle, mettent un terme à ce programme cohérent avec une composition de leur confrère clarinettiste. La pianiste et la chanteuse les rejoignent pour Let’s go (2005), qui mêle sons directs, enregistrés ou traités en temps réel. L’œuvre, dont les trois mouvements s’ouvrent sur des onomatopées tout en souplesse de Monica Jordan, reposent sur des bribes de dialogues empruntées à Wilder, Fellini et Mizoguchi. Si la chanteuse traduit d’abord, de façon redondante, quelques bonnes répliques de Some like it hot, elle se fera de plus en plus discrète, à mesure que la partition s’achemine vers un minimalisme oriental.

LB