Chroniques

par hervé könig

Donaueschinger Musiktage 2018 – épisode 4
Thinking Things, spectacle de Georges Aperghis

Donaueschinger Musiktage / Donauhallen
- 20 octobre 2018
Création allemande de "Thinking Things" d'Aperghis, aux Donaueschinger Musiktage
© ralf brunner

Le quatrième rendez-vous des Donaueschinger Musiktage 2018 est un spectacle conçu pour solistes, extensions robotisées, vidéo, lumières et électronique. Olivier Pasquet en est le concepteur informaticien, Sylvain Cadars l’ingénieur du son. Donné en première allemande, il est coproduit par le Südwestrundfunk, le festival norvégien ULTIMA (Oslo), le Centre culturel Onassis d’Athènes (Στέγη Ιδρύματος Ωνάση) et l’Ircam qui en donna la création mondiale ce printemps, dans le cadre de son festival ManiFeste duquel notre équipe est excommuniée par le service de presse, sacro-saint. Après Machinations et Luna Park [lire nos chroniques du 20 juin 2008 et du 9 juin 2011], Aperghis retrouvait donc cette année le docte institut fondé en 1977 par Pierre Boulez, grand artiste français alors domicilié à… Baden Baden et New York ! Il est cependant devenu désormais plus facile d’aller découvrir outre-Rhin ce qui chez nous est présenté grâce à nos impôts (en partie) – c’est bien naturel, non ?

Dans le décor et la lumière de Daniel Lévy, on retrouve Johanne Saunier, Donatienne Michel-Dansac, Richard Dubelski et Lionel Peintre, quatre interprètes rompus à la musique d’Aperghis [lire nos chroniques d’Entre chien et loup, Paysage sous surveillance, Avis de tempête, Tourbillons et Les Boulingrin]. Les images, dont certaines sont prises en direct et d’autres ont été préalablement réalisées par Pierre Nouvel (également concepteur-programmeur des robots), sont projetées sur une espèce d’immense buffet articulé par des coffres et des tiroirs eux-mêmes habités par les chanteurs. Avec cet humour particulier qu’on lui connaît bien, le compositeur fait naître des situations paradoxales dans lesquelles les machines se révèlent peu à peu aussi détraquées que les humains… à moins que ce soit l’inverse, l’humain aussi détraqué que les machines construites à son image.

En effet, que font les hommes ? La guerre. Ils s’entretuent, comme l’évoquent les bribes d’un rapport en langue anglaise provenant de la base militaire nord-américaine de la Creech Air Force Base, utilisées en alternance avec des mélopées de phonèmes, la plupart du temps fragmentées, parfois en scansion frénétique. Prosodié, enfin déclamé, le fameux récit de Théramène (en français) – Racine, Phèdre (1677), d’après Phaedra de Sénèque (Ie siècle) et Ἱππόλυτος d’Euripide (Ve siècle avant Jésus-Christ) – invite le « monstre furieux », l’homme qui prolonge dans le robot sa propre monstruosité. Savoureusement ludique, l’action musicale Thinking Things (Les choses qui pensent) est un conte noir, celui, sans issu, de notre monde déglingué.

« …l’air en est infecté… », prononce soigneusement une voix très Comédie-Française, portant sur ses cordes un sourire satisfait, voire imbécile. Cette fable sans morale d’environ cinquante-deux minutes s’achève dans la panne.

HK