Chroniques

par laurent bergnach

Luna Park
spectacle de Georges Aperghis

Agora / Ircam, Paris
- 9 juin 2011
Luna Park, spectacle de Georges Aperghis
© ircam | sylvia gomes

Largement consacrée à la « conjonction entre intuition mathématique et intuition artististique, logique et imagination, vision et exactitude » (pour reprendre les mots de Frank Madlener, directeur de l’Ircam), cette nouvelle édition d’Agora n’aura donc pas été le cadre prévu par Marco Stroppa, plusieurs mois avant de tomber malade, pour la création de Re Orso, favola per musica, inspiré d’un poème épique d’Arrigo Boito – les quatre représentations prévues du 9 au 15 juin, reportées à mai 2012, laissent place à la reprise d’une œuvre de Berio, déjà au programme du festival il y a cinq ans [lire notre chronique du 11 juin 2006]. Hors les rencontres et conférences consacrées à la science des chiffres (avec le philosophe Alain Badiou, le musicien Pierre Boulez, le mathématicien Alain Connes, etc.), la création de Georges Aperghis, avec trois dates proposées, apparaît donc comme le temps fort artistique de ces dix journées.

Écrit en collaboration avec François Regnault (onze ans après Machinations), Luna Park recourt au leitmotiv du quatuor vocal doublé d’autant d’écrans vidéo pour réfléchir à la surveillance quotidienne des espaces publics – sans que cela se transforme, bien évidemment, en pamphlet : à l’image d’une flânerie au parc d’attraction, les chemins du rire et du jeu sont empruntés pour évoquer ce voir sans être vu, en particulier lorsque certains mots sortent distordus des haut-parleurs.

Placées au centre de tours métalliques que l’on peut escalader, entre de larges vues urbaines projetées en fond de scène (coin de rue, rangées de balcons) et les écrans réduits qui les cachent à demi derrière des gros plans de leur propre corps ou d’images extérieures, Eva Furrer (flûtiste) et Johanne Saunier livrent, en anglais et en français, de petites saynètes : une vieille dame derrière le rideau de sa fenêtre, une femme élégante dans le miroir de sa chambre d’hôtel, une ménagère dont les enfants partent à l’école, etc. Non-sens et onomatopées occupent cependant la majeure partie de cette heure de spectacle, portés également par Richard Dubelski (aujourd’hui percussionniste, les mains munies de capteurs déclenchant des sons préenregistrés) et le flûtiste Michael Schmid.

« Pris dans ce panoptique, explique Aperghis, le spectateur sera obligé de créer des superpositions, des mixages, son propre montage, c’est-à-dire être actif ». Comme un périple sur les montagnes russes, sa « machine infernale » s’avère certes décoiffante mais sans danger. Arte Live Web invite à s’y amuser pour quelques semaines encore, avant sa reprise à Musica, le 7 octobre prochain, puis au Klangwerktage d’Hambourg.

LB