Chroniques

par laurent bergnach

Segui
création de Hist whist de Marco Stroppa

Agora / Auditorium du Musée d’Orsay, Paris
- 17 juin 2009
Le compositeur italien Marco Stroppa
© marcostroppa.com

Comment accompagner un soliste, c’est-à-dire anticiper et suivre – seguire en italien – tout à la fois son geste, lorsque l’accompagnateur est l’ordinateur ? Toute cette saison, l’Auditorium du Musée d’Orsay a consacré un cycle à la complicité entre artistes au sein de formes intimistes (concerts voix avec piano ou ensemble, master classes) ; il a donc semblé naturel à Franck Madlener, directeur de l’Ircam, de tenter une réponse dans ces murs habitués aux sons d’aujourd’hui (Crumb, Eötvös, Jarrell, Matalon, Nunes, Pesson, etc.), comme de rappeler combien « la poétique ne cesse de précéder la technique »pour ses propres équipes.

Passons vite sur la première œuvre au programme. Otemo, du Chypriote Vassos Nicolaou (né en 1971), s’inspire de l’architecture chaotique de Tokyo, du sens de l’ordre particulier qui en résulte, pour une pièce destinée au vibraphone. Outre un usage daté de l’instrument au timbre facilement agressif, le dispositif électronique live sature l’air d’échos étirés vers l’aigu (ersatz de carillon, de steel-drum), assourdissant l’auditeur vite persuadé de la vanité du projet.

Rien de tel avec The only line, pièce acoustique de l’an dernier pour laquelle Georges Aperghis a créé aujourd’hui une bande son. Cette dernière diffuse des sons hachés, hoquetant – tour à tour cricket, gargarisme ou vapeur sous pression –, tandis que le violon de Hae-Sun Kang, dans un délicat mezzo-piano rigoureux, scie, babille, siffle et finit par flûter. On retrouve ici ce quelque chose, propre au compositeur, de fondamentalement angoissé dans la répétition.

Souvent récompensé outre-Manche où il étudie avec Daryl Runswick, Edwin Roxburgh et George Benjamin, Daï Fujikura (né au Japon en 1977) a eut, pour concevoir prism spectra, l’idée première de « créer un orchestre à cordes virtuel qui soit dirigé par le soliste » – en l’occurrence Odile Auboin, dédicataire de cette œuvre redoutable. Habitée par une sorte de bondissement auto-régénérant, celle-ci débute par un ostinato lumineux, avec des ébauches de chœur nous évoquant Reich et sa Desert Music. Le calme se fait dans un dialogue de l’alto avec son écho sériel, interrompu par un barrage de pizzicati musclés. Révélant une construction en miroir ou en boucle, la dernière partie retrouve la frénésie un peu sauvage du début, mais en plus sombre. Voilà une pièce qui se renouvelle, riche d’inventions, de climats.

Après l’entracte, nous assistons à la création française d’une pièce de Marco Stroppa [photo] qui, sans posséder la séduction de la précédente, captive l’attention. Au centre de la scène, cinq haut-parleurs superposés forment un totem acoustique autour duquel évolue la violoniste, passant d’un pupitre à l’autre, d’un morceau léger et chantant à un autre plus grinçant et ténébreux. En accord avec un titre qui suggère le chuchotement, hist whist – d’après un poème de E.E. Cummings – se déroule dans l’infiniment pianississimo.

« Avec Naturale, disait Luciano Berio, comme avec Voci, j’espère contribuer à renforcer l’intérêt porté au folklore musical sicilien qui est, avec celui de Sardaigne, le plus riche, le plus complexe et le plus rayonnant de notre culture méditerranéenne ».Accompagnée par Daniel Ciampolini qui ouvrait le concert, Odile Auboin livre cette pièce du milieu des années quatre-vingt avec un âpre lyrisme, sans pourtant atteindre la franche raucité de Christophe Desjardins, son confrère à l’Ensemble Intercontemporain. Une couleur trop soignée explique peut-être notre déception.

LB