Chroniques

par gilles charlassier

Daphnis et Alcimadure, opéra de Mondonville (version de concert)
Orchestre Baroque de Montauban, Les Éléments, Jean-Marc Andrieu

Élodie Fonnard, François-Nicolas Geslot et Fabien Hyon
Festival Passions Baroques / Opéra national du Capitole, Toulouse
- 13 octobre 2022
Jean-Marc Andrieu ressuscite "Daphnis et Alcimadure", opéra de Mondonville
© patrice nin

Depuis la création de l’Orchestre Baroque de Montauban en 1986, Jean-Marc Andrieu s’attache à faire revivre tout un patrimoine occitan qui sommeille dans les bibliothèques de la région. Ainsi en est-il de la pastorale languedocienne Daphnis et Alcimadure de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772), donnée dans le cadre du Festival Passions Baroques de Montauban, avant de gagner aujourd’hui la capitale toulousaine, au Théâtre du Capitole.

Inspiré par une fable homonyme de La Fontaine, puis écrit sur un livret du compositeur lui-même, dans son dialecte natal – il est né à Narbonne –, l’ouvrage décrit les minauderies de la belle Alcimadure devant l’amour transi du berger Daphnis, avec une issue plus heureuse que dans la fable : un mariage, prétexte à danses et réjouissances où s’exprime le génie des rythmes et des couleurs d’un musicien qui condensa la quintessence du carrefour esthétique de son temps, entre le renouvellement de la tradition lullyste par Rameau, les influences italiennes et les canons du style galant.

La vitalité de la partition n’échappe pas au chef français. Il en fait ressortir la faconde mélodique qui, si l’on reconnaît la leçon ramiste, prend une tournure plus souple, sinon plus méridionale. Reconstituant l’instrumentation usuelle de l’époque – les sources qui nous sont parvenues ne sont pas exhaustives et constituent d’abord une trame et un mode d’emploi que la tradition et la science de l’interprète complètent –, Jean-Marc Andrieu l’a enrichi de percussions, ajoutant une touche de pittoresque qui, sans trahir l’esprit de l’ouvrage, participe au chatoiement des divertissements.

Avec les conseils de Muriel Batbie Castell pour la prononciation de la langue occitane, le plateau vocal, condensé à trois solistes, rend justice à l’intelligibilité et l’expressivité d’un texte simple que les surtitres viennent conforter. N’hésitant pas à prolonger par le geste le sentiment distillé par le chant, sans craindre l’effet comique sous-jacent dans la bluette, François-Nicolas Geslot met la clarté de sa haute-contre au service du languissement de Daphnis [lire notre chronique de Werther]. La netteté et l’idiomatisme du phrasé cultive l’ambivalence de l’affect, dans un balancement entre gravité et légèreté qu’encouragent les conseils de Jeanet, le frère de la bergère confié à la taille Fabien Hyon dont l’intonation claire épouse les rebondissements de l’intrigue [lire nos chroniques d’Iliade l’amour, Kamchatka, Stratonice, L’Odyssée et La dame blanche]. Élodie Fonnard se délecte des coquetteries du personnage d’Alcimadure, avec une franchise de la ligne qui soutient à propos la caractérisation vaudevillesque. L’autre dessus du plateau, Hélène Le Corre, assume de son babil aéré et fruité l’intervention de Clémence Isaure, fondatrice semi-légendaire au XVe siècle des Jeux floraux de Toulouse et patronne de la langue d’oc, dans un prologue en français façonnant ainsi une habile mise en abyme du régionalisme.

On ne saurait enfin oublier Les Éléments, préparé par Joël Suhubiette avec une admirable précision, tant dans le dessin choral que dans le style. Le chœur de chambre donne aux ensembles un relief au diapason de la gourmandise opportune avec laquelle cet opus est défendu. Créé à l’automne 1754 pour les chasses royales, celui-ci ne déparerait pas deux siècles et demi plus tard sur la scène de Versailles et du CMBV. L’élargissement de la connaissance du répertoire du siècle de Louis XV réserve parfois des gemmes.

GC