Chroniques

par françois cavaillès

La dame blanche
opéra-comique de François-Adrien Boieldieu

Festival de Saint-Céré / Château de Castelnau-Bretenoux
- 31 juillet 2022
La dame blanche, opéra de François-Adrien Boieldieu au festival de Saint-Céré
© rémi blasquez

En revenant à Saint-Céré pour La dame blanche (1825), pilier de la salle Favart pendant plus d’un siècle, le critique un tantinet habitué du festival pense à Pierre Benoit (1886-1962), son prédécesseur ici comme érigé en cordial modèle. Aujourd’hui mieux connu par les antiquaires, ce journaliste reporter, écrivain à succès et grand voyageur brille comme un phare à la façade du Touring – hôtel central du bourg lotois qu’apprécie votre serviteur – où il descendait une fois l’an, des années folles au début de la guerre, pour un long séjour d’écriture. Son regard sur le retour du chef-d’œuvre de François-Adrien Boieldieu et d’Eugène Scribe, via une production de La co[opéra]tive jusqu’au festival en Quercy n’eut pas manqué d’y relever les similitudes artistiques avec ses créatures de papier : par fidélité poétique à sa première veine néo-romantique tout d’abord, puis pour ses romans, à saveur régionale sinon exotique, caressant parfois l’opéra – ainsi Montsalvat (1957), au plaisir des wagnériens souples –, et surtout recelant à chaque aventure une jeune héroïne, dont le prénom commence toujours par A, au charme spirituel puissant par ses élégances sentimentales. Des atomes crochus, il n’en manque pas entre la conception astucieuse de cet opéra-comique français du XIXe siècle taquinant l’univers de Walter Scott et l’imagination de l’académicien de Saint-Céré, au tirage millionnaire pendant le XXe siècle.

Des liens d’aspirations originaux existent aussi entre le Château de Castelnau-Bretenoux, où réapparaît le mystérieux personnage pour quatre soirées du mitan estival, et Louise Vignaud, jeune femme de théâtre qui y signe sa première mise en scène d’opéra en utilisant largement et brillamment, pour le comique des apparitions et disparitions, l’espace de la cour du castel. En effet, l’opéra est entré dans la vie de la petite Louise en cet emplacement précis, là où, un beau jour d’été, par hasard ou prédestination, elle s’initiait à l’art lyrique en découvrant... La dame blanche.

Savamment illuminé aux préludes des trois actes par Luc Michel, le château-fort tient la vedette, parcouru en hauteur pour respecter les visions scottiennes « sur les tourelles » médiévales – The Monastery, 1820 ; belle fiction historique (traduction française d’Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret, parue la même année) – ou dans la largeur afin de donner de l’élan à Georges, le héros revenant de la guerre. La fantaisie abonde dans les costumes de Cindy Lombardi, souvent agréables au regard mais parfois déconcertants, ce qui instaure d’entrée un étrange rapport aux personnages, vus comme éléments d’un conte très bigarré, voire incohérent. Insistant sur le comique de farce, notamment en présentant souvent en spectateurs puérils de l’intrigue le chœur des montagnards, tenus par Le Cortège d’Orphée, ensemble véloce et dynamique dans les passages festifs ou joliment déchaîné lors de la grandiose scène des enchères, la mise en scène réussit, dans l’ensemble, à ménager le caractère préromantique du sujet – par exemple, en présentant avec une grande habileté la romance de Georges –, ainsi qu’à conduire l’intrigue à bon port en dépit des révisions, simplificatrices jusqu’à l’amputation, du livret de Scribe. Par goût de la satire peut-être, les protagonistes s’exposent directement au public, en aparté à la première personne, avec des pointes de féminisme ferme et amusé.

La jeune pupille Anna est campée avec beaucoup de volonté par le soprano Caroline Jestaedt, exceptionnelle dans son air final, le cantabile traduisant l’appétit de joie avant la cabalette, de toute beauté chancelante. Agile, elle rayonne dans la partie déguisée du rôle, chante aux étoiles, le timbre frais. Même succès complet, à l’Acte III, exquise dans le récitatif accompagné précédant le vif duo plein d’inquiétude avec Marguerite, l’ancienne domestique. Bravo à Majdouline Zerari pour cette drôle de harpie dotée d’un mezzo habile et charnu. Éclatante dans le rôle presque bouffe de Jenny, la fiancée, le soprano Sandrine Buendia forte impression, excellente notamment au duo badin avec Georges. Dans la fameuse ballade de la Dame blanche, son chant scintillant et bien élancé appelle des aventures lyriques plus grandes, dans un registre élargi.

Les ténors se taillent la part du lion de royale manière, à commencer par Sahy Ratianarinaivo en Georges, le jeune officier anglais, convaincant dans le défi dramatique, souverain dans les douceurs lyriques (en duo principalement, ainsi que dans la magnifique conclusion, si délicate, de la romance. En Dickson, le fermier poltron, le côté farouche, le talent d’acteur ainsi que le timbre boisé de Fabien Hyon plaisent beaucoup. En outre, le baryton Ronan Airault apporte à la partie du juge le juge MacIrton une saine stabilité dans le spectaculaire ensemble qui conclut le II. De même, en bon comédien Henri de Vasselot brille en Gaveston dans un magistral final apparenté à Rossini, et plus tôt dans le trio du II.

Sous la direction gourmande de Nicolas Simon, Les Siècles, en petite formation, fait des miracles et parvient à donner tout le sel à ces aventures comiques. Magnifiques dans les fulgurances presque rossiniennes dès l’Ouverture, semant la folie aigre-douce dans des couplets bien claqués, endiablant les ensembles – quel exaltant faux canon au trio final de l’Acte I ! –, scandant l’allégresse martiale, accompagnant avec expressivité la brève prière d’Anna ou encore immisçant du chant de la harpe la magie de la Dame blanche, c’est un régal de musique française, au ton parfois épique. Le château s’en trouve pris de la meilleure manière.

FC