Chroniques

par françois cavaillès

création de Frammenti Intimissimi
Jacques Lenot par le Quatuor Tana

Clé de Soleil / Salle des Hospices de l'Hermitage Gantois, Lille
- 12 décembre 2016
Le compositeur Jacques Lenot en décembre 2016, photo © Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi, 2016

En cette soirée spéciale organisée avec ferveur et générosité par le festival lillois Clef de Soleil, les attentes sont hautes à la salle des Hospices, dans le magnifique Hermitage Gantois, aussi monumental que luxueux. Un soir de bruine à la rencontre de Jacques Lenot…

Le compositeur se présente en jeune homme modeste et cordial, avec un bagage assez vieux et lourd de belle musique contemporaine. Ces Frammenti Intimissimi (ou fragments très intimes) pour quatuor à cordes, trésor à partager tout de suite en création mondiale, sont tout neufs : conçus dans la foulée de la première du Quatuor n°6 lors de l’édition 2014 du festival strasbourgeois Musica [lire notre chronique du 28 septembre 2014], ils firent l’objet d’une révision il y a deux mois, à l’occasion des prises de son à Bruxelles, en vue d’une prochaine publication de L’Oiseau Prophète [lire nos critiques des deux premières parutions de cette collection prometteuse : Et il regardait le vent, Le livre des dédicaces].

Avec le même soin élégant et chaleureux de se raconter par strates en avant-concert, Jacques Lenot invite l'esprit à la superposition. Chaque instrument se glisse ou lance des appels dans un monde musical profond et exact, aux sons superbes. Plutôt que des loupes à saveur électro ou des thèmes relatifs à un drame précis, ce premier fragment, mystérieux et tourmenté, semble traversé d'échos proches de l'arabesque pressurée. Ces éléments reposent, non sans mélodie, sur un fond magnétique, songeur, étouffé...

Ensuite, plus loin encore dans l'intimité qu’annonce le titre, émanent le doute et la solitude, comme dans la traversée d'un désert, figeant ainsi le public entre quelques silences et l'écoute prodigieuse d'un secret appel à l'aide. Dans ce fragment calme et délicatement affligé, tout ou presque en pizzicato pour le tutti, le violoncelle (Jeanne Maisonhaute), basse traditionnelle des quartettistes, s’élance notamment vers une expression merveilleuse dans l'aigu.

D'un pas furtif, voici l'entrée dans un passage étrange, à l'accent répétitif, où les instruments paraissent tanguer. Plus saccadée, mais aussi légèrement desséchée, cette progression de la musique déroute, complexe et enfantine à la fois, belle comme contre toute privation. Saluée par notre équipe pour son intégrale discographique Lenot [lire notre critique du coffret], la virtuosité du Quatuor Tana y est extrêmement impressionnante, tout bonnement exceptionnelle [lire nos chroniques du 6 décembre 2013 et du 29 janvier 2014] et apte à guider vers des sommets d'exigence d'énergie et de concentration. Le fragment central fait chanter le second violon (Ivan Lebrun), à donner le vertige ; il est ce fil ténu qui, reliant un livre chéri, le garantit contre les ravages des ans.

Ainsi parvenus à l'Altiplano du concert, il s'ensuit une forme de descente le long des deux derniers fragments, tendus sur une corde psychique, tel le penseur à la poursuite des idées, puis dans le crépitement, la recherche alerte et un spectaculaire temps d'arrêt. Les échanges entre instruments jouent d'alternance, passionnément mais aussi à perte de vue, semble-t-il.

En conclusion de cette fabuleuse pluie de notes sur de nouvelles terres défrichées ou arides, l'impression musicale finale, dans les dernières gouttes, après environ soixante-dix minutes d’exécution, est de… sagesse, oui. Quiconque s'éveille à l'art singulier de Jacques Lenot ressort revigoré de la Salle des Hospices.

FC