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City of Birmingham Symphony Orchestra
Andris Nelsons joue le War Requiem de Britten
Choix difficile, ce samedi à Paris, entre trois jeunes chefs parmi les plus prometteurs de leur génération : Gustavo Dudamel et le Koninklijk Concertgebouworkest dans un programme Lieberson et Dvořák (Pleyel), Philippe Jordan et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris dans le Requiem de Verdi (Bastille), enfin Andris Nelsons et le City of Birmingham Symphony Orchestra pour le War Requiem de Britten, avenue Montaigne. S’il faut se justifier, disons que la troisième Neuvième de Dvořák de l’année parisienne n’aura pas retenu notre attention et que la deuxième version du Requiem verdien laissera sa place dans nos colonnes à celle de Daniele Gatti, à venir. Le choix s’est donc porté sur Nelsons que l’on cite déjà comme prochain directeur musical des Berliner Philharmoniker ou du Concertgebouworkest et qui vient d’obtenir Boston pour 2015. Le War Requiem est également une œuvre plus rare que les précédentes citées, même si l’Orchestre de Paris le jouait il y trois ans sous la direction d’Ingo Metzmacher [lire notre chronique du 21 janvier 2010].
Composé pour inaugurer la Cathédrale de Coventry reconstruite en 1962 après les bombardements nazis, l’œuvre créée par le compositeur lui-même fut jouée à plusieurs reprises en France mais jamais au Théâtre des Champs-Élysées qui privilégia les opéras du compositeur. Ayant enregistré l’œuvre en 2012 (DVD), chef et orchestre se retrouvent sur une scène un peu petite pour loger choristes et grand effectif orchestral, auquel s’ajoute un orchestre de chambre à la droite du chef (harpe, vents, cordes et percussions), un orgue renvoyé derrière le public, un chœur d’enfants derrière la scène et trois solistes, dont une femme placée avec le chœur – ce dispositif respecte les souhaits du compositeur.
Considéré comme l’un des plus grands chefs actuels à l’étranger, Andris Nelsons reste encore pour les Français un chef de connaisseurs – regrettons que l’Opéra ne l’invite pas, vu le niveau de sa Bohème [lire notre critique du DVD] ou de son Lohengrin [lire notre chronique du 14 août 2011]. La tension immédiate des premières notes fait comprendre au présent public que la soirée sera grande. Toutes les parties latines du texte liturgique bénéficieront de la même tristesse et de la même implication de l’orchestre, du chœur et de l’excellent soprano Erin Wall [lire notre chronique du 10 juin 2011, ainsi que nos critiques CD Beethoven et Mahler], remettant l’œuvre dans son contexte tendu d’après-guerre, malgré le désir fort de la « détendre », comme le prouvent les trois chanteurs de la création qui devaient être l’Allemand Dietrich Fischer-Dieskau, le Britannique Peter Pears et la Russe Galina Vishnevskaïa, alors remplacée par Heather Harper à la suite d’une interdiction de sortie du territoire soviétique.
Les solistes masculins montrent un investissement au moins égal, voire supérieur dans les poèmes de Wilfred Owen, écrivain mort sur le front en 1918, à vingt-cinq ans. Lorsque l’excellent Hanno Müller-Brachmann [lire notre chronique du 30 mars 2011, entre autres] chante The End, le regard de Mark Padmore donne le frisson à une assistance tellement émue qu’elle mettra plus d’une minute avant d’applaudir, une fois terminé ce War Requiem. Le City of Birmingham Symphony Chorus et la Maîtrise de Radio France, qui s’affirme comme l’une des meilleures formations chorales d’enfants à ce jour, montrent une fois de plus la justesse avec laquelle ils sont préparés.
Le principal intérêt de la soirée demeure le chef qui dirige avec justesse et sensibilité un orchestre qu’il connaît parfaitement et qui le suit avec attention. L’ensemble chambriste à droite, surtout présent dans l’accompagnement des voix masculines, est remarquable lui aussi. À peine pourrons-nous reprocher à Nelsons de ne pas beaucoup regarder les solistes, ce qui occasionne à deux reprises un léger retard de Mark Padmore.
Cette très grande soirée nous conforte dans notre choix de ce concert, choix approuvé par le triomphe final auprès du public. L’année 2013 est aussi une année Britten, ce que confirme ce magnifique hommage.
VG