Chroniques

par bertrand bolognesi

Ludwig van Beethoven
Symphonie en ré mineur Op.125 n°9

1 CD Analekta / Sony Classical (2011)
88691919442
Nagano dirige la Symphonie n°9 de Beethoven en public, à Montréal

Après les Troisième, Sixième et Septième symphonies, c’est la Neuvième que Kent Nagano a choisi d’enregistrer avec l’Orchestre Symphonique de Montréal. Encore faut-il préciser qu’il ne le fit pas en studio, préférant immortaliser ce moment très important que fut l’inauguration de la Maison Symphonique de la métropole québécoise, en septembre dernier. Vous souvenez-vous ? C’est à cette occasion particulièrement festive qu’Anaclase publiait une interview du maître [lire notre dossier] exprimant les enjeux de l’événement comme son choix de jouer une telle œuvre pour en ouvrir les portes. Aussi ne pourra-t-on qu’applaudir l’initiative qui fixa ce concert servi par ce grand beethovénien et remarquable interprète de la musique allemande, en général (d’ailleurs, une gravure du Triple Concerto Op.56 paraît dans le même temps chez Berlin Classics – 0300331 BC).

Dès les premières mesures de l’Allegro initial, l’interprétation se distingue par l’effervescence qui la traversera d’un bout à l’autre. Nettement articulée, l’approche s’affirme leste, dessinant à peine des traits de vents par une ciselure discrète, jamais « plastique » (comme la tendance actuelle s’en fait sottement sentir) : ici, le propos aura toujours le dessus, au delà de considérations « décoratives ». De même le chef ne souligne-t-il jamais, tout en la respectant scrupuleusement, l’architecture singulière de la symphonie ; il se « laisse faire », pourrait-on dire, avec une grâce naturelle, dénuée de finasserie « malhonnête » comme de surfaite élégance. À la saine tonicité des cordes il oppose le jeu déflagrant des timbales, griffe parfois surprenante d’un compositeur qui peut-être n’en mesura pas forcément tout l’impact, sinon la portée, ici manifestement livrée en toute connaissance des grandes interprétations d’autrefois comme des récentes tentatives de restitution sur instruments anciens.

Et c’est précisément à mesurer le propos particulier de la Neuvième, tant par le recours à l’ode de Schiller qu’intrinsèquement, qu’invite le texte bref du romancier saskatchewannais et québécois Yann Martel, mis en exergue de l’exécution musicale – version anglaise en guise d’ouverture, version française en conclusion. Convaincu de l’importance que revêtait l’édification d’un auditorium à Montréal, c’est dans une indéniable urgence jubilatoire que Kent Nagano fait sonner la fin du premier mouvement ; il va sans dire que le Molto vivace à lui succéder n’en contredit certes pas le caractère ! On en goûte tant le relief des incises percussives que l’équilibre pupitral, au service d’une lecture énergique. Encore faudra-t-il compter avec la noble hauteur de vue habitant l’inflexion de l’Adagio, aérien sans légèreté, avec sa rupture harmonique « en creux » comme une faiblesse soudaine, improbable baisse de tension qui induirait le paradoxe de révéler une tension nouvelle.

Tonnerre et foudre, voilà bien comment s’impose le Finale. Le ton est vif, aigu même, et ne pontifie jamais. De fait, c’est la nuance qui le donne plutôt que des aléas de tactus. On y décèle des impératifs qui étonnent au point de rappeler, par moments, la fougue savamment éclairée d’un Kubelik, tant l’ensemble s’affirme dru. L’ode est exposée dans une mâle tendresse bientôt gagnée par la fluidité séduisante, lumineuse même, des premières variations polyphoniques. Enfin, la voix survient. D’abord l’appel qui paraît relativement lointain, parce qu’on n’est pas en studio. Il est bon que la prise de son et la restitution finale ne mettent pas les voix en avant et respectent une acoustique qui à la symphonie les intègre parfaitement, plutôt que de favoriser une sorte de concert vocal spirituel laïc comme souvent au disque la chose s’apparente.

Si soprano et ténor (cela dit Heldentenor à l’incontestable vaillance) semblent individuellement un peu crus, comparés aux mezzo et basse offrant une couleur riche de timbre, le quatuor vocal se révèle avantageusement équilibré, d’une grande « vertu », dira-t-on. Aux côtés d’Erin Wall (soprano) et de Simon O’Neill (ténor), Mihoko Fuijimura en parachève l’écrin d’un moelleux généreux, tandis que le jeune Mikhaïl Petrenko affiche une présence souple autant que saine, au souffle inépuisable. Notons également la convaincante souplesse dynamique de la masse chorale – OSM Chorus et Tafelmusik Chamber Choir, préparés Ivars Taurins. Après avoir conduit dans une fébrilité décoiffante les « ponts » entre les « versets » solistiques, Kent Nagano assène une fugue magistrale qui bientôt mène au jouissif précipité final… auquel répond immédiatement le public, enthousiaste !

BB