Chroniques

par bertrand bolognesi

Berliner Philharmoniker, Simon Rattle
œuvres de Benjamin Britten et Dmitri Chostakovitch

Festivalului Internaţional George Enescu / Sala Mare a Palatului, Bucarest
- 3 septembre 2015
à Bucarest, superbe opus 10 de Britten par Simon Rattle et les Berliner !
© vlad eftenie

Après l’impressionnante soirée mahlérienne d’hier [lire notre chronique de la veille], c’est vers deux œuvres composées presque au même moment que se penche le Festivalului Internaţional George Enescu, par l’entremise des Berliner Philharmoniker et de leur chef Simon Rattle. Dmitri Chostakovitch écrivit en effet sa Symphonie en ut mineur Op.43 n°4 entre 1934 et 1936, tandis que les Variations sur un thème de Frank Bridge Op.10 de Benjamin Britten datent de 1937. C’est par cet opus inventif et stimulant que s’ouvre un concert particulièrement attendu ici, la prestigieuse formation brandebourgeoise n’étant point une habituée de l’événement.

Outre un fin travail chambriste, Rattle impose d’emblée une interprétation flamboyante de ces Variations, qui mêle tonicité, élégance et gravité. La richesse des timbres laisse pantois, de même qu’une couleur presque viennoise. Après une exposition musclée, l’Adagio médite gracieusement, la Marche est fièrement engagée, la Romance séduit, l’Air italien caresse, la Bourrée surprend, enfin la Valse enivre l’écoute. On admire l’extrême maîtrise de la dynamique, dans un Modo perpetuo d’une urgence survoltée. Au cœur du son survient un thrène tragique, Marche funèbre au dessin décidément fort expressif, qui suspend l’auditoire dans sa trame, comme plongé dans les plus noirs moments de suspens des futurs opéras du maître britannique. De l’énigmatique Chant, le jeu savant, infiniment soigné, sur les demi-teintes et certaines « gelures » instrumentales est proprement captivant. L’exposition de la fugue se fait alors furibonde, dans une inflexion à la fois conquérante et malheureuse, puis déploration émue, cependant inavouée, dont le chef retarde le final. La profondeur de cette lecture est stupéfiante.

Si l’opus 10 de Britten fut achevé en quelques jours à peine et créé quelques semaines plus tard (au Salzburger Festspiele), il n’en va pas de même de la Quatrième du Russe qui revint à l’automne 1935 sur sa partition pourtant concluel’année précédente, dont il livrait une révision au printemps 1936… à la création de laquelle il s’est pourtant opposé à l’hiver, de sorte que l’œuvre ne verrait le jour qu’en 1961, sous la battue de Kondrachine. Simon Rattle entame l’Allegretto poco moderato sur un ton dur, méchant coup d’éclat qui se laisse trop rapidement gagné par une marche assez banale. La suite du mouvement alterne des platitudes fort jolies à des exagérations spectaculaires qui toutes finissent par lasser, il faut l’avouer. Certes, avec cette symphonie les pupitres berlinois ont largement de quoi montrer leur talent, mais cela suffit-il à la musique, vraiment ?

Avec le Moderato central, on pourrait bien être revenu à Britten, tant l’une et l’autre page semblent se répondre dans une même culture de la désolation. Outre la rondeur des violoncelles, on y goûte l’excellence des traits de flûte, de clarinette et de basson. Dans le troisième épisode, Chostakovitch se souvient clairement du Bruder Jakob de la Symphonie n°1 de Mahler, quant à l’idée générale d’un mouvement symphonique, et du Tamburg’sell, l’un des Knaben Wunderhorn Lieder auquel il emprunte son motif de marche. L’interprétation se fait alors plus inspirée, gérant scrupuleusement les forces en présence auxquelles est accordé le relief nécessaire, atteignant alors cette autorité impérative et vaillante qu’il déployait dans son enregistrement de la Symphonie en fa mineur Op.10 n°1 [lire notre critique du CD]. L’extinction finale réconcilie avec cette exécution.

BB