Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestra Națională Radio, Cornelius Meister
Gustav Mahler | Symphonie en mi bémol majeur n°8

Festivalului Internaţional George Enescu / Sala Mare a Palatului, Bucarest
- 2 septembre 2015
à Bucarest, Cornelius Meister salue après une Huitième de Mahler exceptionnelle
© cătălina filip

Trois semaines durant, le passionnant Festival George Enescu électrise la capitale roumaine. C’est le cas tous les deux ans, depuis une soixantaine d’années. Une nouvelle fois son directeur artistique, Ioan Holender, soutenu par l’État, propose une programmation luxueuse dans laquelle se produiront les formations artistiques nationales et les plus prestigieuses phalanges internationales sous la houlette de leurs chefs titulaires (Wiener Philharmoniker, Koninklijk Concertgebouworkest, Staatskapelle Dresden, Berliner Philharmoniker, London Symphony, San Francisco Symphony, Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg, Bayerische Staatsorchester, Israel Philharmonic, etc.), du 30 août au 20 septembre. À un bouquet de grandes soirées symphoniques se conjuguent des moments chambristes, des récitals et, bien sûr, des rendez-vous avec la musique d’aujourd’hui. La foisonnante activité de l’événement, amplement évoquée il y a trois éditions [lire notre dossier de septembre 2009], n’a d’égale que la participation pléthorique du public, tous niveaux sociaux et générations mélangés.

Nous découvrons la cuvée 2015 par ce concert de l’Orchestra Națională Radio, des Corul Academic Radio, Corul Filarmonicii George Enescu et Corul de Copii Radio (Orchestre Radionational, Chœur Universitaire, Chœur Philharmonique George Enescu et Maîtrise d’Enfants de la Radio Roumaine), convoquant quelques huit solistes vocaux pour l’exécution de l’impressionnante Symphonie en mi bémol majeur n°8 écrite durant les étés 1906 et 1907 par Gustav Mahler qui en dirigea la retentissante et triomphale première à Munich, il y aura tout juste cent cinq ans dans dix jours. Qui retrouvons-nous à la tête du terrifiant effectif ici réuni ? Nul autre que le jeune et talentueux Cornelius Meister, maintes fois salué par nos pages, notamment pour sa Symphonie en ut mineur n°1 de Bruckner applaudie au Salzburger Festspiele [lire notre chronique du 9 août 2014].

Ni trop rapide ni trop spectaculaire, l’ouverture du Veni, Creator Spiritus selon Cornelius Meister témoigne d’une grande profondeur de conception, outre qu’elle révèle une nouvelle fois sa technique de direction parfaitement efficace. Les intenses vingt-trois minutes de cette première partie ne dérogent pas à ce prodigieux enthousiasme, transmis par des chœurs d’une vaillance indéniable, mais encore des solistes fort engagés dans leur mission. Allegro impetuoso, indique la partition : on n’en saurait dire moins de cette interprétation brûlante dont l’élan, déjà grand, se trouve magnifié plus encore par la gestion précise de cette baguette des plus inspirées. La vivacité est communicative, jusqu’en ce valeureux fugato qui précède le chœur d’enfants, mais encore un soin exact est porté aux équilibres et aux timbres, jusqu’à l’effet des cuivres aus der Ferne, en baignoire droite.

Une aridité bien vue domine l’incise initiale de la Schluss Szene aus « Faust », dans le suspens extrême des pizz’ où nait l’embryon de mouvement aux vents. Toute menue, l’incursion Renaissance s’orne d’une délicatesse inouïe, dans laquelle se love la nuance chorale, fort subtile. « Ewiger Wonnebrand… » : le baryton-basse Șerban Vasile fait une entrée en souplesse, dans une inflexion chaleureuse, idéalement menée jusqu’en ses tensions à venir, incontestablement expressives. Moins concluant, la basse Sorin Coliban « plafonne » un rien son aigu et affiche un vibrato dangereux, petits désagréments aisément compensés par le sens du texte et les vertus de l’impact. L’Heldentenor Stefan Vinke accuse une forme moins gaillarde que de coutume. Pourtant, il ne sera pas déplacé de parler d’un octuor aux énergies égales, chacun possédant le bon format de sa partie. Des alti, l’Autrichienne Michaela Selinger livre un chant d’une grâce indicible quand Liliana Ciucă révèle une autorité captivante. Si le soprano suédois Erika Sunnegårdh n’est pas toujours d’une stabilité exemplaire, ses consœurs roumaines Aurelia Florian et Cellia Costea font merveille, ne heurtant jamais les attaques, même les plus périlleuses.

Sous les doigts des musiciens de l’Orchestra Națională Radio, on goûte la transparence de chaque détail, de la fermeté des tutti, parfois explosive mais jamais abusivement indifférenciée, au plus divin miroitement. Cornelius Meister cisèle superbement une interprétation dont il épontille les forces d’une maîtrise remarquable, bientôt gagnée par une lumière irrésistible, portant le final dans une sérénité évidente, heureuse. Quelle soirée !

BB