Chroniques

par bertrand bolognesi

Babylon | Babylone
opéra de Jörg Widmann

Münchner Opernfestspiele / Nationaltheater, Munich
- 21 juillet 2013
Babylon, nouvel opéra de Jörg Widmann au Münchner Opernfestspiele
© wilfried hösl

Créé le 27 octobre dernier – la première était alors dédiée à Hans Werner Henze (disparu ce jour-là) qui fut le maître du compositeur –, le nouvel opéra de Jörg Widmann est repris ce soir dans le cadre du passionnant autant que prestigieux Opernfestspiele de Munich. Après la concentration fascinante d’Am Anfang [lire notre chronique du 13 juillet 2009 et notre entretien avec le musicien], nous découvrons une œuvre à l’esthétique démesurément iconoclaste qui joue avec de multiples codes, de la raréfaction vocale d’un Ligeti à la profusion chorale pléthorique d’un Martinů, en passant par la microtonalité spectrale et les joyeuses marches de l’Oktoberfest, à grand renfort d’amalgames, de clusters et autres effets d’accumulation. Ce que l’on pourra recevoir comme un excès en tout – un incroyable « tout-jouir », par exemple – fait adroitement traverser sa forme par le sujet lui-même, à savoir Babylone la peu recommandable (d’après les récits bibliques) qui mêle formidablement les cultures dans le même enthousiasme avec lequel elle vénère d’innombrables idoles.

Avouons tout de même qu’à bien saisir la démarche de Widmann – radicalisant une tendance à mixer des apports anciens, comme avec Messe il y a quelques années [lire notre critique CD], il porte avec jubilation son oreille vers des mixtures stylistiques hétéroclites (et la présence de percussions volontiers extra-européennes dans les baignoires en témoigne clairement) –, sa ferme débauche sonore, pour emprunter habilement la nature du sujet choisie, fait vite saturer l’écoute. Non seulement la musique se perd dans la grandiloquence (parfois humoristique, d’ailleurs), mais encore le livret du philosophe Peter Sloterdijk semble-t-il s’ingénier à semer la confusion au fil d’une intrigue alambiquée traitée par un texte multi-référentiel d’une lourdeur étouffante (la mythologie sumérienne, la Bible, les Lumières, le mythe d’Orphée, la psychanalyse, etc.). Plutôt que d’éluder par la poésie, laissant au spectateur la possibilité de combler par sa connaissance personnelle, son intuition ou son imagination des imprécisions qui auraient été salutaires, Sloterdijk enfonce systématiquement le clou en disant chaque chose trois ou quatre fois. La partition ne parvient guère à magnifier ce matériau bavard.

Enfin, la mise en scène n’arrange rien. Une nouvelle fois, La Fura dels Baus opère d’improbables collages qui mènent droit à l’étage de l’apothicaire où s’administrer l’indispensable dose de noix vomique. Le texte est lourd, la musique est lourde, lourde l’intrigue, lourd encore le contexte historique… avec ses images grossièrement appuyées, le recours incessant à la vidéo, à des dispositifs qui clignotent, à des costumes, maquillages et décors chargés qui encombrent l’espace, la production signée Carlus Padrissa force le trait jusqu’à plus soif.

De ce vaste – et presque interminable (environ trois heures) – péplum ne demeurent guère qu’un plateau vocal de haute volée et une fosse à toute épreuve. À la tête de son Bayerisches Staatsorchester (pour quelques semaines encore) et de son Chœur, largement sollicité par Babylon, Kent Nagano défend énergiquement l’ouvrage dont il soigne chaque aspect. La maison a convoqué de grandes voix pour cette création : Kai Wessel est un Homme-Scorpion de grande autorité, à l’instar du Prêtre-Roi luxueux de Willard White. Claron McFadden prête à L’Âme un colorature formidablement agile et avantageusement timbrée, tandis que Gabriele Schnaut offre son grand soprano dramatique à L’Euphrate. Enfin, Anna Prohaska est une Inanna convaincante, tant dans le chant, parfait, qu’en ce qui regarde la présence scénique, particulièrement investie à sauver l’exilé Tammu que sert avec superbe et sensibilité le jeune ténor finlandais Jussi Myllys.

BB