Chroniques

par laurent bergnach

Arsilda, regina di Ponto | Arsilde, reine du Pont
dramma per musica d’Antonio Vivaldi

Théâtre de Caen
- 15 juin 2017
Václav Luks joue Arsilda (1716), opéra de jeunesse d'Antonio Vivaldi
© petra hajska

Après s’être fait connaître comme instrumentiste d’exception – celebre virtuoso di violino –, Antonio Vivaldi (1678-1741) va régner sur Venise en créateur d’opéras. Entre Orlando finto pazzo (1714) et Rosmira fedele (1738) [lire notre critique du CD et notre chronique du 23 mars 2003], plus d’une vingtaine d’ouvrages y verront le jour – au Teatro Sant’Angelo de préférence… puisque le Prete rosso en est l’impresario. C’est là qu’est créé Arsilda, regina di Ponto RV 700, le 27 octobre 1716. En partie remanié face à la censure, le livret est signé, « le rouge au front », par Benedetto Domenico Lalli, aventurier napolitain conduit à une reconversion poétique auprès de musiciens d’importance (Albinoni, Caldara, Gasparini, etc.). En ce qui le concerne, le compositeur d’Ottone in villa (1713) [lire notre chronique du 8 février 2004] doit vite asseoir sa réputation et ne néglige pas la qualité de son ouvrage, comme le rappelle Frédéric Delaméa dans la notice du seul enregistrement disponible à ce jour :

« Fastueusement orchestrée, mêlant brillants airs solistes et vastes sections chorales, combinant exigence dramatique et expression virtuose, défendant la place fondamentale de l’orchestre dans la peinture de climats et d’affeticontrastés, Arsildas’affirmait comme une œuvre théâtrale majeure, exprimant les préoccupations novatrices de Vivaldi » [lire notre critique du CD]. C’est effectivement un chef-d’œuvre que nous découvrons aujourd’hui, mis en scène par David Radok pour le Slovenské národné divadlo (Théâtre national Slovaque, Bratislava).

Dans une salle grise percée de trois portes et de nombreux volets ouvrant vers des extérieurs changeants (ciel et terre peints par l’artiste Ivan Theimer), les personnages souffrent durablement, amour et manipulation ayant entamé leur confiance dans autrui. D’abord débarrassés d’une gestuelle baroque liée à la sphère publique, les chanteurs quittent ensuite perruques et défroques pâles (bleu et beige, notamment) pour des vêtements actuels, à l’acte ultime. Ce lent glissement dit l’éternité des sentiments humains, qu’accompagnent six danseurs talentueux, mais moins intéressants que le suspens sentimental (Lukáš Homola, Markéta Jandová, Anna Kukuczková, Tereza Lenerová-Hradilková, Daniel Raček, Jana Vrána).

Fictionnellement et vocalement, Lucile Richardot (Lisea) vole la vedette au rôle-titre d’Olivia Vermeulen. Si le mezzo de la seconde s’avère bien mené, il est inégal. En revanche, le contralto séduit par son timbre androgyne, des graves profonds et bien projetés, cette expressivité s’accompagnant d’une grande intelligence du texte. Côté dames, citons encore Helena Hozová (Nivandro), et surtout Lenka Máčiková (Mirinda), au soprano léger, souple et juvénile, sans mièvrerie aucune [lire notre critique du DVD Dove è amore è gelosia].

Contreténor aux vocalises virtuoses, Kangmin Justin Kim (Barzane) plait aussi par son onctuosité corsée [lire notre chronique du 21 janvier 2017]. Fernando Guimarães (Tamese) est un ténor aux grands atouts, familier des XVIIe et XVIIIe siècles : outre une saine stabilité, il possède l’art de la nuance et des attaques en douceur [lire nos chroniques des 25 janvier et 26 juin 2015, ainsi que du 5 octobre 2016]. Sonore et impacté, le baryton-basse Lisandro Abadie (Cisardo) se montre aussi fort agile. Enfin, félicitons un Collegium Vocale 1704 entre force et tendresse.

Pilier du renouveau baroque en République Tchèque [lire notre chronique du 26 août 2009], Václav Luks conduit Collegium 1704. Il a tissé son propre canevas musical à partir des différentes versions disponibles d’Arsilda. Sensible au désenchantement palpable qui nimbe l’ouvrage, il explique : « quand l’un des héros chante qu’il retourne à son premier amour, on pense qu’il va se réjouir… mais c’est un lamento ! Et cette déception traverse tout l’opéra ». La reprise finale de Fra cierche tenebre (Acte II, Scène 8) va dans ce sens, après qu’eut résonné un constat mélancolique : « mensonge et vérité ont la même couleur ». Passé le ballet d’Ouverture enjoué mais digne, le chef gagne en relief et brio, faisant honneur à la remarquable inventivité du jeune Vivaldi.

LB