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Chroniques
Antonín Dvořák, Leoš Janáček et Richard Strauss
l’Orchestre de Paris invite Anja Harteros et Tomáš Netopil
C’est aujourd’hui la première fois que le jeune chef tchèque Tomáš Netopil (né en 1975) dirige l’Orchestre de Paris. Assez naturellement il a choisi un programme faisant la part belle à la musique de son pays natal, un programme qui, avant de triompher dans la page incontestablement la plus célèbre de ce répertoire, s’ouvre avec le plus rare Taras Bulba, rhapsodie orchestrale imaginée en 1915 par Leoš Janáček sur le conte de Gogol (Mirgorod, 1835-43), et achevée après trois ans. De la fameuse épopée zaporogue, le compositeur morave a retenu trois épisodes à la veine plus méditative que « d’action », résumant le récit aux trois morts qui l’articulent. La mort d’Andreï révèle d’emblée un fin travail de la couleur dont le sommet demeure le remarquable effet de halo des cloches-tubes prolongées dans la pâte d’orgue – une saveur savante qui annonce la Messe glagolitique réalisée une décennie plus tard. Les cuivres de la formation parisienne affiche une franche santé avec La mort d’Ostap, mouvement central qui cependant a quelque difficulté à « prendre ». De fait, toute la petite harmonie s’affirme resplendissante au long de cette exécution. Prophétie et mort de Tarass Boulba contraste une véhémence parfois percussivement impactée à la tendresse lyrique de cordes soignées. On saluera la gestion idéale des tutti les plus copieux comme l’ampleur progressive de l’ostinato général, ainsi qu’un motif de violon solo qui ne saurait laisser indifférent (Roland Daugareil).
Au soprano dramatique Anja Harteros de faire son entrée !
C’est à un grand opus vocal que les protagonistes de la soirée s’attellent alors : les Vier letzte Lieder Op.150 de Richard Strauss, composés durant les derniers mois de sa vie. Tomáš Netopil engage Frühling dans un tempo assez enlevé qui augure d’une interprétation moins centrée sur le caractère « crépusculaire » que sans doute l’on s’est trop plu à attendre de cette musique, une lecture qui ne confondrait pas les circonstances de la partition à la partition elle-même. Mais ce départ est vite entravé par la voix dont surprend le grave durci. Au souvenir d’autres prestations de la chanteuse [lire nos chroniques du 17 juin 2006, des 11 juillet, 29 juillet et 29 novembre 2010], il paraît évident qu’un stress vient gêner son émission normale. Dans September, ce trac se fait anesthésiant, pour finalement se solutionner dans le troisième moment du cycle. Cela dit, l’aigu toujours demeure tant large que tendre et le format autorise le chef à déployer en une généreuse opulence toutes les finasseries de l’écriture straussienne. La pleine de possession de ses moyens revient à Anja Harteros pour Beim Schlafengehen, avec un grave dont l’étrange métal est parti, les registres s’homogénéisant magnifiquement en un legato des plus aboutis. Encore ravit-elle l’oreille par Im Abendrot qu’elle sert d’une expressivité à la fois fluide et délicatement intériorisée. Sans l’alanguir trop, le chef prend le temps d’un rien distiller le postlude, confirmant la première impression.
Notre préambule l’annonçait : la troisième œuvre inscrite au programme scelle le succès d’un jeune chef qui avait déjà retenu notre écoute dans Káťa Kabanová à Garnier [lire notre chronique du 8 mars 2011]. Il entame l’Adagio de la Symphonie en mi mineur Op.95 n°9 « Z nového světa » dans un rogue danger… après une semi-interruption qu’on ne saura pas taire : faut-il vraiment qu’un téléphone mobile retentisse précisément au moment où la baguette respire pour lancer l’exécution d’une symphonie ? Au delà de tâcher de savoir pourquoi un public auquel on conseille bien de veiller à l’extinction de son infernal petit jouet s’obstine à ne pas éteindre ladite prothèse affective, l’on s’interrogera sur l’usage de cet appendice phallique à blablas dans une salle de concert. Mais qu’attendre d’un Zauberberg qui projette à gorge déployée ses bruyantes mucosités hivernales sur le papier à musique ? On se sera trompé d’endroit : nous sommes dans une salle d’attente, assurément.
Ce premier mouvement nait bientôt d’un contraste saillant à la puissance altière qui toutefois n’omet pas de laisser respirer les motifs mélodiques. Pas un gramme de sucre dans cette Neuvième fièrement articulée, pas plus de surcharge pondérale ou de sourire bonhomme : sans complaisance, la pensée en est remarquablement ténue. On ne s’étonnera donc pas de cordes plus toniques qu’onctueuses, d’une vitalité de conception qui laisse loin les vieilles étoffes pour regarder vers les grands espaces. Si parfois la vigueur frise la brutalité, c’est qu’il faut à tout chef un peu de temps pour manier certains paradoxes et que Tomáš Netopil a trente-sept ans, rappelez-vous. Au service d’une lecture dense et vive, une petite harmonie d’une exemplaire fiabilité. Le Largo survient dans une pâte somptueusement phrasée, entre chœur masculin et grand orgue. La mélodie de cor anglais ne s’étire pas, ce qui confère à l’interprétation une sorte de fraîcheur triste. La réexposition du thème aux violoncelles luit d’une précieuse fragilité. Netopil possède un art certain du climat qui lui permet d’à peine souligner les événements tchaïkovskiens de l’œuvre et de colorer le « pont » pastoral qui mène à un trio chambriste dont la précarité gagne a contrario un relief inattendu.
Sans déroger à la nuance, volontiers frémissante, prompte, comme improvisée, l’exécution se poursuit dans un Scherzo mafflu dont les traits instrumentaux, parfois solistiques, voire « concertinuistes » pour certains d’entre eux, jamais ne cèdent à quelque compensation tisanière que ce soit. En toute logique, l’Allegro final est fermement asséné, sans sécheresse pourtant, minutieusement taillé dans un « Nouveau Monde » de riche agate.
BB