Chroniques

par bertrand bolognesi

Alcina
opéra de Georg Friedrich Händel

(version de concert)
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 29 novembre 2010
en Alcina (Händel), Anja Harteros se révèle assez maladroite et trop froide
© marco borggreve

Après une série de représentations (signées Adrian Noble) données à la Staatsoper de Vienne – notons, au passage, que Dominique Meyer, son directeur, fait preuve d’une certaine audace, puisqu’il s’est agi non seulement de convaincre les Wiener Philharmoniker de prêter l’auguste fosse aux Musiciens du Louvre-Grenoble, mais de faire entrer dans la fameuse maison (reconstruite) de Nüll et Sicardsburg un ouvrage empruntant au répertoire baroque, quand bien même serait-ce l’incontournable Alcina dont il ne viendrait à l’esprit de personne de contester le titre de chef-d’œuvre -, l’opéra de Händel gagne l’avenue Montaigne pour une exécution en version dite « de concert » qui, de fait, témoigne directement de l’investissement scénique tout récent.

D’emblée avouons une relative déception due à une distribution des plus inégales, comptant tant de bas que de hauts, et parfois même dans un même gosier. À commencer par le Ruggiero de Vesselina Kassarova dont on goûte, sans doute aucun, les graves incroyablement profonds et la superbe idéalement déglinguée pour ce personnage ensorcelé, autrement dit possédé. Mais le mezzo accuse une fatigue fort gênante, l’inélégance d’attaques en coups de glotte, une instabilité criante de l’intonation. Toutefois – et qu’en penser ?... – l’incarnation séduit, l’énergie déployée emporte l’écoute, la crédibilité dramatique surprend. À poursuivre avec la Bradamante de Kristina Hammarström, d’une toute autre tenue, quant à elle, soignant une ligne de chant parfaitement conduite, éclairant subtilement le texte sans en trop faire jamais – précisément : en en faisant trop peu, sans doute, car ce soir le rôle n’imposera jamais de présence significative, sans doute parce que la voix peine à s’affirmer. Àfinir par l’Alcina d’Anja Harteros, d’abord assez maladroite dans les récitatifs qu’elle alourdit, comme si l’encombrait le généreux format vocal qui fait ensuite le bonheur de chaque air. Et quels airs ! Car, au bout du compte, c’est bien le rôle-titre qui l’emporte, avec une interprétation infiniment sensible des moments les plus attendus de la partition, pages qu’elle sert merveilleusement de toute la richesse d’un timbre somptueusement expressif, d’un art médusant de la nuance, sans oublier un charisme qui, sans philtre aucun, ferait succomber plus d’un Ruggiero.

Si le pour et le contre se partagent trois des rôles principaux, le quatrième bénéficie, pour sa part, du désastre absolu d’une voix qui n’en peut mais : où sont donc passées les qualités de Veronica Cangemi ? Certainement pas dans la Morgana de ce soir dont on n’évoquera que l’incompréhensible diction, les cuisantes approximations (pour ne pas dire la justesse toute relative), les phrasés improbables, l’indécision du placement vocal, la projection capricieuse. Une carrière rencontre parfois des périodes moins fastueuses ; gageons que l’artiste reprendra bientôt les moyens qui lui valurent tant d’applaudissements il n’y a pas si longtemps.

Enfin, il y a les hauts, résolument hauts. Ainsi de Luca Tittolo qui campe un Melisso irréprochable et attachant, musical de bout en bout ; ainsi de l’Oronte de Benjamin Bruns, lumineux ténor qui montre la vaillance requise tout en dessinant souplement les différents états affectifs du personnage, en totale adéquation avec la plume qui les inventa. Sans oublier le soprano-garçon Shintaro Nakajima, brillant élément des Wiener Sängerknaben à offrir ici un Oberto inattendu et remarquablement chanté.

Une fois de plus, Marc Minkowski honore la musique de Händel à sa juste valeur. Certes, il ne déroge pas à son inscription dans le temps baroque, mais sait aussi en révéler les aspects déjà classiques, prenant une certaine distance avec la trame dramatique. On ne cherchera pas dans cette version la vivacité de ton souvent adoptée par d’autres baguettes, avec autant d’à-propos, d’ailleurs, mais bien plutôt l’on en appréciera l’ample inflexion, le paysage qui jamais ne discourt, un éclairage assez hautement porté qui regarde moins la création de 1735 que ses temps à venir.

BB