Chroniques

par françois jestin

Andrea Chénier | André Chénier
dramma di ambiente storico d’Umberto Giordano

Opéra de Toulon
- 11 octobre 2019
"Andrea Chénier" de Giordano à l'Opéra de Toulon : un vent de Terreur !
© frédéric stéphan

L’Opéra de Toulon accueille la production plutôt traditionnelle et classique de Nicola Berloffa [lire nos chroniques d’Il viaggio a Reims, L’Italiana in Algeri, Madama Butterfly, Les contes d’Hoffmann, Norma et Carmen] créée la saison dernière, qui a déjà tourné dans plusieurs théâtres du nord de l’Italie – Modène, Plaisance, Reggio Emilia, Parme et Ravenne. Quand le rideau se lève dans le palais de la Comtesse de Coigny, les domestiques lisent le journal, assis sur des chaises devant un immense tableau champêtre. La toile tombe un peu plus tard et découvre une guillotine en bonne place, élément de décor omniprésent qui fait presque office d’acteur principal. Le deuxième acte enchaîne, avec un homme qui nettoie l’instrument de mort tandis qu’on promène des têtes décapitées. Les Actes III et IV se déroulent sur fond de tableau en cours d’exécution, avec des échafaudages en partie gauche de la scène, une peinture dans le ton de La Liberté guidant le peuple de Delacroix. La scénographie de Justin Arienti s’adapte rapidement au cours des actes, sans véritables changements de décors très nets, le contraste entre ambiances intérieures et extérieures n’étant pas toujours évident pour le spectateur. La dernière image laisse un peu perplexe : la guillotine se lève et tombe sur les dernières notes, pendant que les lumières s’éteignent. Mais le noir est loin d’être complet et de nombreux spectateurs poussent un petit ah de soulagement en voyant la lame s’arrêter à mi-hauteur.

Si le spectacle a été créé au Teatro Comunale Luciano Pavarotti di Modena, nous sommes malheureusement loin de l’illustre ténor italien avec Gustavo Porta distribué dans le rôle-titre [lire notre chronique d’Ernani]. Dès le début de la représentation, le chanteur accuse de très sérieux problèmes de justesse, un vibrato développé, un style qui traduit trop souvent l’effort, avec de rares aigus assez brillants mais qui paraissent relever de la performance. Le rôle de Chénier est très long et souvent sollicité, le ténor rencontre même des petits moments de passage à vide, comme son duo avec Maddalena en fin d’Acte II où il s’essaie à la voix de tête, sans vraiment convaincre. Bref, il est clairement le maillon faible au sein d’une équipe plutôt homogène et de qualité.

La Maddalena de Cellia Costea impose un personnage solide. La voix est large, dans la bonne intonation et d’essence vériste. Elle y met du drame au cours de l’air La mamma morta, assise au pied de la guillotine, avec des graves nourris et un aigu vainqueur [lire nos chroniques des Nozze di Figaro et de Madama Butterfly]. Le baryton Devid Cecconi en Carlo Gérard est lui aussi bien timbré et projette avec énergie. Sans doute le vibrato est-il un peu développé, mais la voix est expressive et bien en situation pour ce rôle. La Bersi d’Aurore Ugolin fait belle impression, avec son vigoureux instrument d’un beau grain, même si l’extrême grave la met en inconfort [lire nos chroniques de Die tote Stadt et de Dido and Æneas], tandis que Doris Lamprecht fait entendre une voix plus caricaturale, successivement en Comtesse puis en Madelon, détimbrant parfois. Wojtek Smilek (Roucher, Fléville) impose son autorité vocale, Carl Ghazarossian (L’Incroyable et L’Abbé) est un inquiétant espion en ténor de caractère, Geoffroy Salvas chante ses rôles secondaires (Mathieu, Populus) d’une voix claire de baryton aigu.

L’ensemble est placé sous la direction attentive et d’optimale qualité de Jurjen Hempel. La battue est précise, apportant des nuances bienvenues et le maintien d’un bon équilibre entre plateau et fosse. Les cordes jouent avec délicatesse le meilleur de la partition, alors que les cuivres sonnent avec solennité les premières mesures qui ouvrent le troisième acte. Les chœurs se montrent un peu moins homogènes que les musiciens. On relève, par exemple, un décalage des hommes avec l’orchestre, lorsqu'ils sont placés derrière le tableau au premier acte, mais les faiblesses sont plus accentuées chez les femmes qui produisent un son parfois en manque d'homogénéité et en délicatesse avec l’intonation dans le registre le plus aigu.

FJ