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Chroniques
Yseult Martinez
Handel & ses héroïnes – Un imaginaire de la puissance des femmes
Après avoir mené des recherches sur la figure du maître à danser puis sur celle du castrat italien en terre française, Yseult Martinez s’intéresse aujourd’hui à l’œuvre de George Frideric Handel (1685-1759) – notre docteure en histoire moderne (Sorbonne Université) désignant par le patronyme le plus courant de sa période londonienne, évoquée ici, ce musicien cosmopolite qui a lui-même signé sous différents noms (Handle, Hendl, Hendell, etc.). Sous-titrée Un imaginaire de la puissance des femmes, cette étude s’appuie sur le livret de trois opéras pour mieux comprendre l’époque qui les vit naître. Pour ce faire, Yseult Martinez décrit des personnages – ce qu’ils disent, ce qu’ils font –, constatant que nombre de ses collègues ont négligé d’approfondir cette piste, parfois au seul profit de la musique. Or, prendre au sérieux les livrets retenus par Händel permet de mieux comprendre ses opéras.
Partenope (1730), Alcina (1735) et Berenice, regina d'Egitto (1737) ont pour point commun de mettre en avant cinq femmes imposantes, socialement ou psychologiquement. Partenope est la mythique reine de Naples, aux allures de grande prêtresse. Elle veille au bien-être de ses sujets, ce qui lui vaut leur respect, et prône la fidélité, première exigence de l’amour courtois. C’est une personne immature, initiée par l’épreuve. Elle aussi souveraine mais esclave de ses passions, la colérique Berenice souffre à la fois d’un imbroglio amoureux et des manigances de Rome, jusqu’à entrevoir sa soumission finale. L’étude de ce deux reines en quête d’amour – l’une vertueuse, l’autre tyrannique – se poursuit par celle de deux héroïnes dissimulées sous des vêtements masculins. La première nous est connue : c’est Rosmira, en rage, qui retrouve un fiancé volage à la cour de Naples. Grâce au travestissement, elle espère venger son honneur bafoué. Quant à Bradamante, elle réussit là où tant d’hommes ont échoué, pour libérer son aimé retenu par la magicienne Alcina. Cette dernière, à son tour victime d’un sort, illustre la chute d’une courtisane délaissée pour la première fois.
Tout au long de l’ouvrage, l’auteure ne trahit pas sa promesse de faire mieux connaître Händel et son époque, à l’aide de paragraphes, voire de chapitres entiers, pour dire ce qu’était l’Angleterre au temps du musicien. En ce qui concerne l’aspect socio-politique, par exemple, elle y évoque des femmes qui héritent d’un trône ou, au contraire, qui s’offrent dans les rues de la débauche, sans oublier celles qu’on mène au mariage de raison. Pour intéressantes qu’elles soient, ces informations séduiront moins le mélomane que celles attachées à la vie artistique.
S’appuyant sur nombre d’écrits en langue anglaise du XVIIIe siècle et sur les livrets mis à la disposition du public de la création – mais aussi sur des hypothèses, face aux silences des archives –, Yseult Martinez s’attarde sur l’implantation de l’opéra à Londres, et la menace que représente l’arrivée d’un art italien, jugé porteur de débauche et de valeurs papistes. Malgré tout, l’élite des théâtres finit par applaudir les œuvres du Saxon – lequel lui réserve l’exclusivité de trente-six opéras sur quarante-deux, sans même parler des oratorios du crépuscule –, et leurs incomparables interprètes souvent formés à Bologne, le vivier du chant moderne. Il faut féliciter l’auteure de partager avec clarté ses sources d’informations diverses et de fines analyses.
LB
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