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Chroniques
récital Roberto Alagna
Salle Gaveau (2001)
Les 8 et 11 janvier 2001, après plusieurs mois de fermeture pour rénovation, la Salle Gaveau rouvrait en accueillant Roberto Alagna. Le grand ténor français d'origine sicilienne a tenu à contribuer, à sa façon, à la réfection de la salle de la rue La Boétie, en offrant l'intégralité de ses cachets des deux soirées. Ce DVD restitue l'ambiance festive et l'atmosphère chaleureuse de ces concerts à travers les images d'un public patientant dans le hall et d'un auditorium tout rénové, au son de l'Entracte du 3ème acte de Carmen… et non de son Ouverture, comme l'indique le dos du produit. Une très brève interview de Roberto Alagna évoquant le chant français et un joli clip sur la chanson Carretiere, tourné à ses débuts avec ses deux frères, complètent ce programme.
Tout à l'écoute du chanteur, Anton Guadagno accompagne ce récital, à la tête des Concerts Lamoureux, avec discrétion et délicatesse. Roberto Alagna apparaît fringant, en costume romantique, cheveux longs et séducteur en diable. Après une Sérénade de Don Giovanni sans éclat et sans style, il entame une bien poussive Danza de Rossini où il continue d'être bizarrement absent, sans humour et bien tendu dans les aigus. Le chanteur se rattrape avec Le Cid de Massenet dont l'air O souverain, ô juge est une vraie réussite ; nous l'y retrouvons à son zénith, avec une diction et un phrasé impeccables qui le rendent irremplaçable dans ce répertoire.
Le récital se poursuit avec une alternance d'airs italiens et d'airs français. Les seconds sont, dans l'ensemble, exemplaires de diction et de vérité, la voix du ténor étant proprement idéale pour le fameux Rachel, quand du Seigneur extrait de La Juive d'Halévy. On pourra juger l'évolution de sa voix en réécoutant l'air de Don José qu'il enregistra naguère pour son premier récital chez EMI. Si elle a perdu en souplesse et en suavité, elle a gagné en dramatisme et en virilité. Dommage qu'Alagna ne nous gratifie plus du superbe pianissimo, écrit par Bizet, à la fin de l'air, comme il le faisait en 1995.
Plus discutables sont les airs italiens. L'artiste, qui a pris tant de soin à dépoussiérer le chant français, n'en fait pas autant pour l'opéra italien. Pourquoi a-t-il besoin de grossir artificiellement son organe ? A quoi riment ces portamenti et ses sanglots dignes de temps que l'on croyait révolus ? Ainsi, après cette Danza essoufflée, le premier air de Calaf de Turandot (Puccini) est presque caricatural, tant il épaissit le trait. On aurait aimé que Una furtiva lagrima de L'elisir d'amore (Donizetti) soit à la hauteur de ses prestations superlatives à l'Opéra de Lyon en 1996, aux côtés d'Angela Gheorghiu. Au contraire, le chanteur persiste avec un lourd et décevant Tomba degli avi mei de Lucia di Lamermoor, toujours grossi et, de plus, fâché avec la justesse. Ecoutez le long récitatif qui précède l'air : il est digne d'un ténor des années cinquante, avant la révolution Callas.
Les deux airs véristes de Leoncavallo restent dans la même veine, réjouissant un public frénétique, malgré tout. Les bis réservent cependant une bonne surprise : c'est un bonheur renouvelé que d'entendre notre star franco-italienne enchaîner les canzonette napolitaines et siciliennes de Eugenio de Curtis ou Arturo Buzzi-Pescia, en d'autres temps défendues avec ardeur par Caruso, Ponselle et Gigli, entre autres. Même O Colombina de Pagliacci, intercalée entre ces chansons, est une réussite, comparée au Vesti la giubba excessivement vériste du programme principal.
Manque de concentration du ténor qui était certainement gêné par l'odeur des peintures encore fraîches de Gaveau ou simplement absence de forme, on comprend mieux pourquoi EMI ne s'est pas précipité pour publier ce DVD bien inégal, aujourd'hui disponible chez Deutsche Grammophon, mais enregistré quand le ténor était encore sous contrat chez la Major au petit chien.
MS