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Chroniques
récital Nurit Stark
Bartók – Eötvös – Ligeti – Veress
Native d’Israël, Nurit Stark commença ses études musicales à Tel Aviv avant de rejoindre sur scène, dès l’adolescence, ses compatriotes de l’orchestre philharmonique national. Ensuite, elle gagna le Nord, poursuivant son apprentissage du violon à Berlin, puis Cologne, jusqu’à l’enseigner désormais à Stuttgart, à partir de 2019. Après un enregistrement de Kafka-Fragmente de Kurtág, pour le label suédois qu’elle retrouve aujourd’hui, elle poursuit son exploration des compositeurs hongrois avec des pièces signées Béla Bartók (1881-1945), Sándor Veress (1907-1992), György Ligeti (1923-2006) et Péter Eötvös (1944-2024). Elles ont en commun de faire dialoguer éléments savants et populaires, mêlant tradition savante occidentale et musique folklorique.
Soucieux de fraternité des peuples, Bartók illustre parfaitement un métissage d’influences, ce besoin d’aller puiser à la source voisine (slovaque, roumaine, arabe, etc.) – sous réserve que « cette source soit pure, fraîche et saine ! ». Fin 1943, le compositeur en exil aux États-Unis accepte la commande d’un tout jeune violoniste qui s’intéresse aux pièces baroques sans négliger les contemporaines. C’est donc pour Yehudi Menuhin – qui vient de jouer son Concerto pour violon à Minneapolis –, que le créateur, en proie à la fatigue due à la leucémie qui l’emporterait bientôt, conçoit le solo Sz.117 (BB 124), sur le modèle de la sonata da chiesa des Italiens d’avant-hier. L’œuvre voit le jour à Carnegie Hall (New York), le 26 novembre 1944 ; elle est la dernière intégralement écrite par le Hongrois. Globalement expressive et virevoltante, cette sonate propose un troisième mouvement plus intérieur et contemplatif, passage nocturne avant un final ensoleillé, où des harmoniques participent au mystère.
Quoique l’élève du précédent, et comme lui attiré par les cordes [lire notre critique du CD Alpha Classics], Veress se distingue de son maître avec une Sonate pour violon seul (1935) écrite bien avant le déclin – il n’a pas trente ans lorsqu’il la termine –, et qui dure moitié moins que celle de Bartók approchant la demi-heure. Sa vitalité rythmique frappe d’emblée, affichant cette liberté qui domine dans la musique folklorique improvisée. Allegro clarteux voire brillant, Adagio délicat et Allegro molto nerveux à souhait en font un opus à redécouvrir volontiers.
Ayant suivi les cours de composition de Veress, Ligeti vénéra Bartók à son tour, génie aussi fascinant qu’inaccessible – avant ses adieux au pays, par exemple, le folkloriste réputé n’avait guère les honneurs de la radio comme musicien. Mais il fallut bien s’affranchir de cet héritage pour trouver sa propre voie, même si la Sonate pour alto solo (Gütersloh, 1994) s’inspire du folklore et de l’art baroque, sur certaines traces de l’aîné. Entendre le jeu énergique et tendre de Tabea Zimmermann lança le projet d’écrire cette pièce pour un instrument dont Ligeti vante « une âpreté singulière, compacte, un peu rauque, avec un arrière-goût de bois, de terre et de tanin » (in Programme du Festival d’Automne à Paris, 1994). Sa Sonate se présente comme une alternance de moments calmes, voire désolés, et d’autres plus virtuoses, voire chaotiques, à l’image du Lamento qui contient à lui seul ce revirement entre fluidité et âpreté.
Enfin, terminons avec le cadet des compositeurs réunis, Eötvös, et la plus récente des quatre pages, Adventures of the Dominant Seventh Chord (Berlin, 2019) – Aventures de l’accord de septième dominante, dédié à Nuria Stark. Tout du long de cette quasi-sonate, la facture occidentale est représentée par une septième de dominante, véritable symbole du langage tonal qui mène généralement à une résolution. Or, ici, nulle résolution : l’accord est confronté à un matériau non tonal clairement inspiré du ferment ethnique. De nombreuses danses variées se succèdent, tantôt lentes, tantôt rapides, offrant un voyage musical dans différents climats.
LB