Chroniques

par laurent bergnach

ouvrage collectif
Luciano Berio et la voix

Hermann Éditeurs (2025) 402 pages
ISBN 979-1-0370-4385-6
Pierre Michel et Olivier Class dirigent cette parution LUCIANO BERIO ET LA VOIX

Comme le mentionne un des quinze chapitres de cet ouvrage collectif, conçu sous la direction des musiciens et musicologues Pierre Michel et Olivier Class, « il ne s’est rien passé de spécial » en France, en 2023, pour rappeler la disparition de Luciano Berio, vingt ans plus tôt. L’année 2025 marque le centenaire de sa naissance en Ligurie : espérons qu’elle saura célébrer un peu mieux l’un des artistes incontournables de la seconde moitié du XXe siècle, à l’instar de la présente publication, sous-titrée Expérimentations, poésies, interprétation, et destinée à éclairer ses œuvres vocales.

Dans la première des trois parties proposées, quelques chapitres détaillent à tour de rôle l’une des œuvres suivantes : Circles (Tanglewood, 1960), Canticum novissimi testamenti (Paris, 1989), Cronaca del Luogo et Altra Voce (Salzbourg, 1999). D’un rédacteur à l’autre, l’analyse demeure claire, ce qui contribue à donner une unité supplémentaire au livre, par-delà sa thématique. L’un met en relief l’importance du geste dans le théâtre contemporain (moments d’actions de la chanteuse, qui joue des claves ou des cymbales à doigts, par exemple) ; un autre étudie les différentes relations entre ensemble vocal et instruments (fusion harmonique et timbrique, en particulier) ; d’autres, enfin, s’intéressent au laboratoire technologique de Berio, notamment son recours à l’électronique en temps réel. Ces chapitres sont amorcés par un rappel de l’influence, sur le compositeur italien, du chant folklorique et des premières recherches sonores au Studio di Fonologia (filtrage, fondu, etc.), mais aussi par la réédition d’un entretien accordé à son confrère Flo Menezes, en 1989, autour de Visage (1961) qui leur doit le jour – « C’était mon adieu à la radio […] que j’ai définie comme étant l’instrument le plus répandu pour la diffusion de mots inutiles »).

Le plus souvent, le chant implique la présence d’un texte. C’est donc avec raison que la partie médiane installe Berio au milieu des écrivains qui lui sont chers. Et parce que plusieurs de ses créations lui doivent l’inspiration, entre Chamber Music (1953) et Outis (1996), la place d’honneur revient à James Joyce – « un monsieur dont on ne revient pas », comme l’écrit Boulez à Pousseur, en 1951 [lire notre critique de leur correspondance]. La poésie d’Edoardo Sanguineti, dont la tendance au collage n’abdique en rien l’invention créative, conduit aussi à la naissance de chefs-d’œuvre tels Passaggio (1963) et Laborintus II (1965). Enfin, l’écriture polysémique et codée de Paul Celan apparaît dans la musique de Berio sous différentes formes, tantôt entière (Hör, 1995), tantôt fragmentaire (Stanze, 2003).

La troisième et dernière partie donne la parole aux interprètes. Outre les réflexions de la chanteuse Valérie Philippin sur la dimension d’ouverture centrale chez Berio, et celles du chef de chœur Geoffroy Jourdain quant à son enregistrement de Cries of London (1976), on y retrouve le soprano Françoise Kubler partageant des conseils d’interprétation émaillés de quelques souvenirs. Parmi ces derniers, retenons la découverte de la musique concrète dans l’atelier de peinture de sa mère, mais surtout un stage à Reims, au début des années quatre-vingt, avec son idole Cathy Berberian, première épouse et muse du musicien – « elle a été très surprise que quelqu’un lui amène la Sequenza en entier, comme un morceau classique ». Avec ces témoignages s’achèvent un ouvrage qui donne envie de redécouvrir l’art vocal du maestro, pour qui l’aurait peu ou prou perdu de vue.

LB